Partie prenante de la paix civile depuis 1997, l'AIS veut encore imprimer son empreinte dans l'étape actuelle. Barbe fournie, le visage débonnaire et le verbe toujours facile, Madani Mezrag était là pour la parade, malgré les critiques acérées qu'il distillait par-ci et les remarques caustiques qu'il formulait par-là. La conférence de presse qu'il a organisée hier, au siège de l'Union nationale du mouvement associatif à El Mouradia, constituait en fait, le «coup d'envoi islamiste» à la campagne pour la paix et la réconciliation nationale en Algérie. Flanqué de son compagnon de toujours, Mustapha Kertali, émir de l'AIS pour la région centre, Mohamed Boulanouar, l'ancien ministre du Tourisme et Mohamed Sennani, l'actuel président du mouvement associatif, Madani Mezrag , l'ancien chef de guerre, s'habillait subrepticement de l'apparat d'un homme de paix: «Nous sommes avec le président Bouteflika aujourd'hui et demain, non pas parce qu'il s'appelle Bouteflika mais parce qu'il est l'initiateur d'un projet politique réconciliateur.» Ce point de soutien actif précisé, l'ancien émir de l'Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS, ndlr) donnait un vaste rappel historique du processus de paix: «Les accords contractés avec l'armée - et je précise qu'ils avaient été conclus avec des officiers de l'état-major et du DRS - ont permis à 3 800 hommes armés de l'AIS de déposer les armes et de quitter les maquis.» Les ambiguïtés ont traîné en longueur, concernant la situation sociale et politique des repentis: «Nous devions attendre la concorde civile et la couverture politique et juridique donnée par les mesures promulguées par le président pour recouvrer nos droits. Et je vous précise que la concorde civile nous a permis de recouvrer la totalité de nos droits civiques.» Anticipant sur les quelques réticences affichées par certains leaders du FIS vis-à-vis du projet de charte pour la paix, Mezrag a besoin de tous ses arguments: «Il est puéril de laisser passer cette offre de paix et de se retirer. Quelles que soient les restrictions qui nous sont imposées et les dénis qui nous ciblent, nous allons continuer à dire oui à la paix et faire désespérer ceux qui, dans le clan éradicateur, s'attendent à nous voir réagir avec virulence. Ce n'est ni un retournement de notre part, ni encore moins un reniement. C'est une vision politique née dans la douleur des privations, mais c'est grâce à tout cela que je suis là aujourd'hui devant vous dans ce dialogue démocratique, libre et sincère.» Souriant, Madani cède la parole aux journalistes présents dans le bureau exigu de l'Unma, avec l'aplomb de celui qui sait qu'il maîtrise ses sujets à fond. La première question concerne Ali Benhadj, et Madani répond sans détours, avec une sincérité époustouflante: «Je tiens tout d'abord à vous dire que nous avions obéi, respecté et vénéré nos chouyoukhs, lorsque le GIA les avait condamnés à mort et excommuniés et lorsque personne n'osait prendre leur défense. Qu'on ne nous fasse pas, donc, aujourd'hui le procès, de lèse-chouyoukhs. Concernant Ali Benhadj, la position ambiguë qu'il avait adoptée lors de la prise d'otages qui a ciblé nos deux diplomates à Baghdad, lui a porté tort. Je sais bien que son intention était bonne, mais son argumentation négative a été désastreuse et ceux qui l'attendaient au tournant ne l'ont pas raté. Cette péripétie regrettable me rappelle celle qui s'est aussi malencontreusement passée il y quelques années avec Abassi Madani, alors qu'il venait d'être libéré par Bouteflika et devait bénéficier de tous les moyens de l'Etat pour mener une campagne pour la réconciliation nationale à travers le pays. La veille de cet événement, le cheikh envoie une lettre au secrétaire-général de l'ONU, Kofi Annan et fait échouer tout le projet (...). Jeu d'équilibres Dites que c'est un manque de lucidité de la part de Ali Benhadj, dites que c'est un manque de maturité politique, n'empêche qu'il a mal agi dans un moment qui exigeait la mobilisation de tous pour sauver deux Algériens kidnappés à l'étranger.» Revenant à la Charte qu'il continuera à critiquer en longueur et en largeur, il précise que «cette critique ne contredit pas ma position de principe, et qui est un soutien sans faille au président», mais veut que le débat autour de la Charte doit être serein et constructif «afin d'éviter d'être des béni-oui-oui». Qu'est-ce que veut dire ces équilibres que le président a respectés? «C'est à vous Messieurs de la presse de nous le dire! N'êtes-vous pas en train de parler depuis plusieurs années de la mafia politico-financière? N'est-ce pas vous qui enquêtez sur les groupes de lobbies qui existent au sein de l'administration? Ceci m'amène à parler du clan des éradicateurs, qui est encore assez puissant en Algérie. Je lis des passages de la Charte et j'y trouve leur trace. Quand le président parle de respecter les équilibres, il dit aussi que, pour le moment, c'est tout ce que permet la conjoncture. Il faut bien comprendre les choses et faire attention à ne pas exiger plus qu'il n'en faut, ou faire une lecture simpliste et réductrice des choses. Je suis en train d'aider le président avec la conviction de la foi, car je sais qu'il ira encore plus loin dans sa volonté de concrétiser la paix». Parce que vous pensez que l'étape actuelle n'est pas définitive? «Mais bien sûr. Si le président est encore en vie dans quelques années - que Dieu le garde - il ira encore plus loin dans son effort de paix (...) sinon, ce n'est pas la fin du monde. La politique n'est pas l'objectif des musulmans aujourd'hui. Il nous reste l'éducation, les associations, la pédagogie, la culture, la société, notre propre famille, soit autant d'espaces d'activité (...). Je dis aussi que si notre activité politique devait générer de nouveau des conflits et des bains de sang, moi je dis non à la politique. Ce n'est pas elle mais la sécurité de l'Algérie qui passe en priorité.» Evoquant sa contribution à la réconciliation nationale et le problème des groupes armés encore en armes, Madani Mezrag dit: «Nous allons sillonner le pays, prêcher la paix, dire les bienfaits de la réconciliation, et nous invitons Ali Benhadj et Abassi Madani à se joindre à cet effort de paix, parce qu'il est nécessaire (...). Concernant les groupes armés encore réticents, je sais qu'ils déposeront les armes sitôt que les mesures d'extinction des poursuites judiciaires vont entrer en vigueur. Reconverti en pèlerin D'après nos contacts et nos prévisions, 80% de ceux qui sont dans les maquis accepteront de déposer les armes et de rejoindre la société, et ne resteront que ceux qui n'ont plus rien à voir ni avec la paix ni avec le djihad (...). Concernant le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc), je sais que c'est un groupe réceptif au discours religieux et qu'il a des dispositions réelles vis-à-vis de la réconciliation. Pensez-vous que la vie est douce dans les maquis? La situation du groupe dit «al-Ahoual» (actuellement groupe des Houmât ed-daâwâ es-Salafiya, Ghds, ndlr) est tout autre. Il s'agit d'un groupuscule réduit, qui ne cherche plus que la négociation et la fin des hostilités». L'enfant de Qaous résume l'amertume des islamistes dans ces mots lourds de sens: «Je sais que le contexte actuel nous confine à accepter toutes les restrictions, alors buvons notre coupe jusqu'à la lie et soyons patients.» A partir de demain vont commencer les pérégrinations du cheikh à travers le pays. Constantine, Ghardaïa et Alger seront les prochaines stations de cet ancien chef de guerre reconverti en pèlerin pour la paix.