Nadine Labaki, dans «Capharnaüm», en lice pour la Palme d'or «Zeïn décide d'intenter un procès à ses parents pour l'avoir mis au monde, alors qu'ils étaient incapables de l'élever», résumerait-on ainsi ce film... Haut comme trois pommes, Zeïn, un gamin de 12 ans, déjà condamné pour meurtre et qui affronte, la tête haute le regard du juge devant lequel il comparait, cette fois en plaignant, suggèrerait-il l'avènement proche d'une génération nouvelle, qui revendiquera le droit à une vie décente, à la dignité et au respect? Certes, au niveau des augustes assemblées internationales, l'on organise épisodiquement des colloques sur les droits de l'enfant, le temps d'une célébration et puis s'en vont... Mais là, Nadine Labaki, avec «Capharnaüm», en lice pour la Palme d'or, met le doigt sur une plaie encore béante, et ne manque pas d'y jeter dessus, du sel par pincées, afin d'en aviver la douleur. À ce stade, on commence par se demander si la cinéaste auteur de «Caramel» (2007, Quinzaine des Réalisateurs) «Et maintenant on va où?», (Un Certain Regard, 2011), a vu un film, devenu incunable, de Luis Buñuel «Los Olvidados»? (1951). Ce terrible brûlot qui provoqua un tel remous, qu'il ne resta à l'affiche que trois jours au Mexique et provoqua de nombreuses manifestations de rue, d'une foule indignée de voir la misère de ses enfants (de la rue) étalée sur les écrans de cinéma. Les gamins de Beyrouth, plus de six décennies, après, ceux de Mexico, ne sont pas logés à meilleure enseigne. Nadine Labaki en fait un portrait à l'acide, de ces petits êtres démunis et abandonnés à leur propre sort dans des bidonvilles qui sont comme le rouge (de la honte) sur une ville opulente, mais qui ne louche pas, le temps d'un regard, vers ses damnés de la terre du XXIe siècle, les religieux du Hezbollah, ne sont pas du reste. Il y a comme un consensus national, libanais, au niveau, en tout cas, des sphères d'influence, d'ignorer jusqu'à l'irréparable (souvent, hélas), ces couches entières de la population, qui végètent, dans ce qui ressemble plus à des verrues de tôle et de carton, habitat aussi précaire que la vie des habitants de ces zones de non-droit, où chacun exploite l'autre, comme le dicte la loi du plus fort (des opprimés) sur le plus faible (ici, l'Ethiopienne, la Philippine etc.). Zeïn a tenté de tuer le mari de sa soeur, morte en couches, à l'âge de 11 ans! En fugue, l'enfant des rues, avait trouvé refuge chez une jeune femme de peine, Ethiopienne d'origine, dépendante d'un horrible épicier, spécialiste en faux papiers, qui serait disposé à l'aider, à condition qu'elle lui cède son enfant de trois ans à peine et qu'il se proposerait à «placer» dans une famille aisée... Nadine Labaki décrit ce Beyrouth sale et méchant, en prenant soin de ne jamais montrer, pas même le halo d'ampoule allumée, de l'autre Beyrouth, celui des lumières éclatantes et qui fait la carte postale que l'on connaît. On traverse des moments pénibles, le dégoût ourlant nos lèvres sèches, à la vue de ce gamin, Zeïn, obligé de prendre soin du petit Ethiopien, né sans papiers, comme lui (il faut payer cher pour être inscrit à l'état civil, au Liban) et dont la mère n'est plus revenue de son marché, arrêtée en fait pour défaut de titre de séjour valide... Il y aurait tant à dire, à écrire, sur ce crime contre cette frange de l'humanité, ces enfants, «chiens perdus sans collier». Une ville sale, du moins dans sa partie excentrée, où les égouts sont à ciel ouvert, où l'eau y coule souvent rouge de terre... Et dont les prisons ressemblent à ce dernier étage du Titanic, en soute, dans laquelle étaient parqués ceux qu'on n'avait pas envie de voir, mais qu'on viendra chercher pour un «coup de main» dans les quartiers huppés de la capitale libanaise. Le petit Zeïn en veut à ses géniteurs de l'avoir mis au monde. Nadine Labaki montre des parents éligibles au Prix de l'indignité nationale, mais sans leur donner l'opportunité d'expliquer comment sont-ils devenus si «affreux, sales et méchants», pour paraphraser le titre de ce terrible film d'Ettore Scola... On raconte que la coiffeuse de plateau de «Los Olvidados» de Buñuel, avait, à l'époque, démissionné du film en disant qu'aucune mère mexicaine ne traiterait son enfant comme le fait celle de Pedro dans le film. C'est ce que l'on pourrait reprocher à la cinéaste libanaise, d'avoir mis en scène l'incroyable cynisme de la mère de Zein, sans montrer, à aucun moment, les conditions de vie de ces parents, que l'enfant veut faire condamner pour l'avoir fait venir au monde!De même que dans son approche, Nadine Labaki, fait de longs détours scénaristiques pour s'économiser une explication sur sa manière d'occulter le rôle de ceux qui sont en devoir de faire appliquer ces lois racistes et iniques. Apparemment la ligne rouge est tacitement établie... Dommage pour l'architecture du film, qui mérite malgré tout cette consécration cannoise. Une distinction qui donne du sens, tant l'auteure de «Capharnaüm» aura fait oeuvre d'utilité publique en réalisant ce film, comme on donnerait une gifle à nos lâchetés et à nos démissions accumulées devant les prémices de cette défaite de l'humain, prélude à l'avènement de toutes les barbaries, comme celle de Daesh, qui fleurissent comme du chardon sur un tas de fumier.