Un grand engouement pour élire le successeur de Mugabe «J'espère que le vote de demain va faire tomber la forme militaire de gouvernement» actuel, a lancé Mugabe à Harare où il passe une retraite dorée. «Je ne peux pas voter pour ceux qui m'ont mal traité», a-t-il dit, donnant sa voix à M. Chamisa, dont il a toujours combattu la formation. Les Zimbabwéens ont voté lundi, lors des premières élections générales depuis la chute du président Robert Mugabe, au pouvoir pendant près de quatre décennies qui ont plongé le pays dans une grave crise économique. Un total de 23 candidats - un record - sont en lice pour la présidentielle, organisée en même temps que les législatives et les municipales. La course pour la fonction suprême se joue entre l'actuel président Emmerson Mnangagwa, patron de la Zanu-PF, le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1980, et l'opposant Nelson Chamisa, leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Le premier, âgé de 75 ans, ancien bras droit du camarade «Bob», affirme avoir tiré un trait sur son passé de cacique du régime Mugabe et a promis de rétablir la démocratie et de remettre sur les rails une économie aux abois. Le second, âgé de 40 ans, compte sur sa jeunesse pour séduire un électorat bien décidé à en finir avec la vieille garde politique. Ces premières élections de l'ère post-Mugabe suscitent un fort engouement. A Harare, des Zimbabwéens faisaient la queue devant les bureaux de vote depuis 4h00 (2h00 GMT), des femmes emmitouflées dans des couvertures pour se protéger du froid de l'hiver austral. «Nous sommes contents que Mugabe ait été dégagé, mais les choses doivent changer», a expliqué Tendau Ngowera, un employé dans une entreprise de tabac, qui s'apprétait à voter Chamisa. «Le gouvernement est en place depuis 1980 maintenant, ça fait 37 ans (...). Ils vont continuer à piller, on ne va pas le tolérer», a-t-il ajouté. «Donnons sa chance» à Emmerson Mnangagwa, a lui estimé Paddington Mujeyi, un vendeur de parfum de 30 ans. «Depuis quelques mois, nous avons vu des changements côté liberté. On n'est pas harcelés comme du temps de Mugabe». Le président Mnangagwa joue gros: il compte obtenir par les urnes la légitimité du pouvoir. Il a succédé en novembre au président Mugabe, poussé vers la sortie par l'armée et par son propre parti, la Zanu-PF, qui ont refusé que sa fantasque et ambitieuse épouse Grace Mugabe lui succède le moment venu. Dans ces conditions, ces élections sont aussi l'occasion pour le nonagénaire Mugabe de régler ses comptes. Lors d'une conférence de presse surprise dimanche, l'ancien président a appelé les électeurs à faire chuter la Zanu-PF. «J'espère que le vote de demain va faire tomber la forme militaire de gouvernement» actuel, a-t-il lancé depuis sa luxueuse résidence de Blue Roof à Harare où il passe une retraite dorée. «Je ne peux pas voter pour ceux qui m'ont mal traité», a-t-il poursuivi, avant de sous-entendre qu'il donnerait sa voix à M.Chamisa, dont il a toujours combattu la formation. M. Mnangagwa a rapidement réagi en dénonçant une alliance, à ses yeux, entre MM. Mugabe et Chamisa. Mais celui-ci a insisté sur le fait qu'il «n'avait rien à voir» avec le choix électoral de l'ancien président. L'écart entre les deux principaux candidats à la présidentielle s'est récemment réduit dans les sondages. M. Mnangagwa est crédité de 40% des suffrages, contre 37% pour M.Chamisa, selon un sondage publié il y a dix jours par le groupe Afrobarometer. Si aucun candidat n'obtient la majorité absolue, un second tour sera organisé le 8 septembre. Tout au long de la campagne, le président Mnangagwa, arborant une écharpe aux couleurs de son pays, a promis l'apogée d'une «nouvelle démocratie» et des milliards de dollars d'investissement pour remettre sur pied une économie ruinée par la crise et par les réformes catastrophiques de son prédécesseur. Il s'est également engagé à la tenue d'élections libres et transparentes, à rebours des fraudes et des violences qui ont largement entaché les scrutins de l'ère Mugabe. Mais ses détracteurs en doutent, rappelant qu'il a été l'un des exécuteurs de la répression de l'ère Mugabe. L'opposition n'a cessé de dénoncer des irrégularités dans la préparation du vote. M.Chamisa a d'ores et déjà estimé que les élections seraient très vraisemblablement entachées de fraudes. Les Nations unies se sont, elles, inquiétées des «intimidations» et «menaces de violences et de harcèlement» d'électeurs avant les scrutins, mais elles ont aussi salué «l'élargissement de l'espace démocratique au Zimbabwe». Dans son ensemble, la campagne électorale a été plutôt calme, hormis un attentat à la grenade qui a visé le président le mois dernier à Bulawayo (sud) et fait deux morts. Pour la première fois depuis seize ans, des observateurs occidentaux ont été invités dans tout le pays. Les bureaux de vote ont fermé à 19h00 (17h00 GMT) et les résultats sont attendus d'ici le 4 août.