Le spectre de la décennie noire Les pouvoirs publics ne peuvent faire preuve de naïveté et d'irresponsabilité face à l'islamisme radical. Il ne suffit pas de mettre un couvercle sur la marmite pour éviter les débordements. Citoyens et responsables savent pertinemment que le mépris de la culture renvoie à l'image d'une époque dont on n'a pas encore chassé les démons. Qui ne se souvient pas du début de l'islamisation de la société algérienne. Des campagnes «haram» qui étaient lancées à tout bout de champ pour tout et n'importe quoi. Qui ne se rappelle pas des «mourchidine» et «mourchidate» qui sillonnaient les rues pour prêcher leur «bonne parole». En groupes organisés, les soldats'' du Front islamique du salut (FIS, dissous) appelaient les jeunes à cesser de fumer, les filles à se couvrir le corps et les couples à éviter de s'isoler... Mais très vite, le conseil'' s'est transformé en une injonction qui exposait son transgresseur à un sévère châtiment. Il y a eu alors les couples roués de coups ou encore les jeunes filles brûlées à jamais par de l'acide. La peur qui s'était installée dans les esprits, contrôlait tout. A l'intérieur même des cuisines, les femmes avaient peur d'utiliser leurs cocottes-minute et les épouses leurs flacons de parfum. Trois décennies se sont écoulées depuis ces temps d'inquisition islamiste qui ont débouché sur une «sale» guerre avec son lot de morts et de pleurs. Mais voilà que les interdictions sont de retour. Et avec elles, la peur et les incertitudes. Voilà que l'histoire se répète...dangereusement. A Sidi Bel Abbès, Ouargla ou encore à Tébessa et Jijel, des extrémistes religieux tentent d'imposer leur diktat, d'interdire les galas et de se réapproprier la rue. A Sidi Bel Abbès, les extrémistes ont conduit une prière de rue pour empêcher la tenue du festival de la musique raï dans cette ville. A Ouargla, ils ont dirigé les manifestations qui ont conduit à l'annulation de concerts de musique. A Jijel, c'est le maire de la commune Sidi Abdelaziz qui a décidé de suivre «l'air de l'interdiction» en vogue, en annulant le gala d'une chanteuse raï dans sa ville. À Boumerdès, des dizaines de jeunes ont investi le quartier des ́ ́800 ́ ́, en plein centre-ville, pour empêcher la tenue d'une soirée musicale au motif que certaines chansons diffusées étaient ́ ́indécentes ́ ́. Quelques mois auparavant, c'est à Constantine que ça a fait polémique. Et avant les interdictions de galas, il y a eu, il faut le rappeler, l'appel lancé par un extrémiste sur Facebook pour le lynchage des femmes. Un appel vite appuyé et relayé par un autre inquisiteur en herbe. Ces deux incitateurs à la violence à l'égard des femmes ont appelé tout simplement les jeunes à «jeter des lampes pleines d'acide sur les visages des femmes» qui ne seraient pas «correctement habillées» pour les «éduquer». Il s'agit là d'un grave dérapage qui a amené les services de sécurité à réagir promptement et à arrêter les coupables. Heureusement d'ailleurs. Mais il n'empêche que de telles pratiques replongent les Algériens dans la période du FIS dissous où des intégristes et semeurs de la haine jetaient de l'acide sur des femmes non voilées. Les interdictions ravivent de vieux souvenirs, comme quand le FIS dissous avait appelé à l'interdiction du gala de Linda de Suza à la salle Atlas de Bab El Oued à Alger ou quand ses élus avaient fermé une salle de cinéma à Bordj Bou Arréridj, au nez et à la barbe de nombreux artistes. Les autorités avaient alors cédé devant la pression. C'était la porte ouverte à une dérive qui engendrera, quelques mois plus tard, la tragédie nationale. Le retour en force des intégristes dans toutes les villes du pays est un signe qui ne trompe pas. Ces derniers cherchent à réinvestir la rue et revenir au-devant de la scène en cette période de crise économique. Ils tentent de profiter de la colère citoyenne pour s'imposer comme la seule alternative qui se présente au peuple en cette période de flou politique en raison de l'approche d'une importante échéance électorale. Or, les Algériens ne se laisseront pas berner à deux fois par les obscurantistes qui veulent ramener l'Algérie 30 ans en arrière. Les citoyens ont tiré les leçons du passé. Reste maintenant à l'Etat de réagir, car tout laxisme vis-à-vis de tels agissements fanatiques n'augure rien de bon. Les pouvoirs publics ne peuvent faire preuve de naïveté et d'irresponsabilité face à l'islamisme radical. Il ne suffit pas de mettre un couvercle sur la marmite pour éviter les débordements. Citoyens et responsables savent pertinemment que le mépris de la culture renvoie à l'image d'une époque dont on n'a pas encore chassé les démons. A l'époque, tout avait commencé par des appels «à couper l'électricité aux salles des fêtes, aux salles de cinéma, aux théâtres et ça a fini par couper des têtes», comme l'a si bien décrit un internaute.