L'expression un pays «à feu et à sang» s'applique très bien à l'Irak d'aujourd'hui. Plus le 30 janvier, -jour des élections générales-, approche, plus la violence augmente d'intensité avec la multiplication des attentats comme ceux qui ont coûté la vie au chiite Ali Radi Al-Haïdari, gouverneur de Bagdad mardi, et hier celle de Omar Mahmoud Abdallah, un influent dirigeant du parti islamique irakien (le plus important parti sunnite en Irak) ou ciblant les forces de sécurité irakiennes. Selon une déclaration du ministre irakien de l'Intérieur, Falah Al-Nakib, plus de 1300 éléments des forces de sécurité irakiens (policiers et gardes nationaux) ont été tués en moins de 18 mois. Hier encore, de nombreux attentats ont ébranlé le pays, (parmi les victimes ce sont encore les policiers, dix morts dans l'attentat d'hier, qui restent visés) allongeant démesurément la liste des victimes d'un bras de fer qui dépasse de loin les intérêts immédiats de l'Irak et du peuple irakien. Cette sanglante course contre la montre entre la guérilla irakienne et les forces d'occupation américaine -et ses auxiliaires de la police et de la garde nationale irakienne- se solde par un macabre bilan où ce sont les civils irakiens qui payent le prix fort. Dans cette meurtrière escalade de la violence apparaît en filigrane le bras de fer entre les hommes de Washington (cf, le gouvernement intérimaire irakien qui n'a aucune assise parmi le peuple irakien est formé en majorité d'expatriés de longue date n'ayant aucune attache réelle avec le pays profond) qui veulent consolider un pouvoir très fragile, soutenu à bout de bras par les forces armées américaines d'occupation et une guérilla qui veut se placer en éventuelle alternative à un pouvoir toujours vacant depuis la chute du régime de Saddam Hussein. La vérité est que le gouvernement d'Iyad Allaoui, qui n'a aucune légalité, -si ce n'est celle octroyée par la Maison-Blanche dont il dépend pour tout-, dans lequel la majorité des Irakiens ne se reconnaissent pas, n'arrive pas à mobiliser autour de lui les forces vives de la nation irakienne. La persistance de la violence en Irak, s'explique en partie par le fait que l'autorité intérimaire qui dirige actuellement le pays en sous-traitance pour les Etats-Unis n'arrive à convaincre les Irakiens de sa sincérité et de son engagement à sortir le pays de la crise où il est plongé depuis l'invasion du pays par des forces étrangères conduites par les Etats-Unis. L'exemple de Falloujah, ville de 300 000 habitants aujourd'hui dépeuplée, détruite en novembre dernier par une vaste offensive des forces armées américaines, atteste de fait du partage des tâches entre le Iyad Allaoui, -c'est lui qui a officiellement donné le feu vert pour l'attaque de l'ancien bastion de la résistance sunnite à l'occupation, mais ce sont les marines qui se sont occupés du «nettoyage». Cela est tellement vrai que Iyad Allaoui a de démentir hier un remake de Falloujah à Mossoul où ont été observés ces derniers jours de grands renforts de GI's et de marines américains. Ce qui a fait dire hier au Premier ministre intérimaire irakien lors d'une conférence de presse: «Je peux vous assurer que nous n'avons pas l'intention de lancer une opération à Mossoul du type de celle de Falloujah». En attendant les forces armées américaines se regroupent dans cet important centre du nord de l'Irak. Par ailleurs, Iyad Allaoui, prend à contrepied le ministre de la Défense, Hazem Chaalane, quand il affirme que «le gouvernement est engagé à tenir les élections à la date prévue» alors M.Chaalane a laissé entendre au Caire, lundi dernier, que les élections pourraient être retardées au cas où les sunnites, qui ont décidé de boycotter le scrutin, reviendraient sur leur décision de boycott. De fait, une polémique s'est engagée entre membres du gouvernement intérimaire, chacun de ses membres faisant entendre un son de cloche différent dans leurs déclarations à la presse, accentuant la cacophonie ambiante qui caractérise l'autorité intérimaire irakienne. On peut même se demander jusqu'à quel degré les Irakiens sont réellement maîtres du scrutin du 30 janvier à voir les réactions des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne après les déclarations du ministre irakien de la Défense. Le jour- même de la déclaration de Hazem Chaalane au Caire, le département d'Etat a immédiatement répliqué indiquant: «Nous croyons savoir que la commission électorale indépendante et le gouvernement intérimaire irakien restent d'avis que ces élections doivent se tenir le 30 janvier et nous restons sur cette base». Dit autrement, Washington met son veto à un report du scrutin. A son tour, le Premier ministre britannique, Tony Blair, dit sa «détermination» à ce que le scrutin se tienne le jour indiqué, déclarant: «Je suis déterminé (à ce que les élections aient lieu à la fin du mois), parce qu'il est très important que les terroristes ne remportent pas une victoire» qui ajoute: «Je l'ai constaté moi-même lorsque je me suis rendu à Bagdad avant Noël, personne en Irak ne veut de Saddam Hussein. La vaste majorité des Irakiens veulent participer aux élections». Sans pour autant dire comment il a pu se forger ce sentiment d'unanimité des Irakiens à vouloir voter. Car, la question n'est plus au retour de Saddam Hussein, mais bien celle de savoir quel avenir Washington et Londres veulent réserver à l'Irak, lorsque ni les forces d'occupation, ni la guérilla ne sont enclins à laisser aux Irakiens le droit de fonder leur opinion dans la sérénité et dans la sécurité, par la précipitation des uns, alors que l'insécurité est totale, par la pression des autres cherchant à aggraver cette même insécurité.