Une controverse sur la légitimité de la cour chargée de juger l'ancien dictateur Saddam Hussein a éclaté entre des avocats irakiens et des familles ayant perdu leurs proches dans les fosses communes du régime déchu. Un séminaire juridique, censé débattre jeudi à Bagdad des travaux du Tribunal spécial irakien (TSI) mis en place par la coalition pour juger Saddam Hussein et ses acolytes, a été le théâtre d'un vif échange entre avocats s'interrogeant sur l'autorité de ce tribunal et ceux qui soutiennent cette cour. “Les tribunaux jugent au nom du peuple et je pose à vous la question : est-ce que (l'ancien administrateur américain en Irak) Paul Bremer parle au nom du peuple ?”, a demandé Abdel Majid Al-Sabaoui, professeur de droit pénal et constitutionnel à l'université Moustansiriyah à Bagdad. Selon lui, les fondements et les travaux du TSI sont minés par “d'énormes contradictions”. Il a estimé que ce tribunal viole la Loi fondamentale, qui gère le pays jusqu'à la fin de 2005, car une clause stipule l'interdiction des tribunaux spéciaux, de sinistre mémoire pour les Irakiens. Lors de son audition le 1er juillet, Saddam Hussein a lancé au juge d'instruction : “Comment pouvez-vous me juger devant une cour mise en place par les forces d'occupation ?” Selon M. Sabaoui, le tribunal viole les principes de la justice, en se référant rétroactivement à des lois datant de 1968-71 pour condamner Saddam Hussein et ses adjoints. Il s'est également interrogé sur la validité de ce tribunal pour juger les crimes de Saddam Hussein liés à l'invasion du Koweït (1990). Il a souligné que ces lois, qui garantissent une certaine immunité au président et aux hauts responsables de l'Etat, pourraient être utilisées par les avocats de l'ancien dictateur. Il s'est prononcé en faveur de la création d'un tribunal pénal international spécial pour juger Saddam Hussein et ses acolytes, similaire à ceux mis en place après la Seconde guerre mondiale à Nuremberg et Tokyo ou à ceux qui ont été établis pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. “Puisque nous faisons les premiers pas vers la démocratie, il est impératif que la cour jugeant Saddam soit aussi impartiale et transparente que possible”, a-t-il dit. Les arguments de M. Sabaoui ont entraîné une vive réaction des participants. “Si vous aviez la moindre parcelle d'humanité, vous ne défendriez pas Saddam”, lui a lancé Ismaël Namous Chamal, un avocat. Un autre confrère a tenté de détendre l'atmosphère. “Peu importe la cour qui le jugera. Dévoilons tous les crimes commis par lui et son régime et jugeons-les”, a affirmé Ahlam Abdel Ridha, en citant le modèle de la commission “Vérité et Réconciliation” établie en Afrique du Sud après la fin du régime de l'apartheid. Un homme se lève et traite les avocats de “lâches”. “Pourquoi n'avez-vous pas protesté quand Saddam Hussein procédait à des exécutions sans procès”, a demandé, la voix cassée par l'émotion, cheikh Ghazi Al-Waali, dont des membres de sa tribu ont été victimes de la répression. “Je jure devant vous que si des avocats étrangers foulaient le sol d'Irak pour défendre Saddam, les hommes de ma tribu les découperont en morceaux”, a-t-il poursuivi. Le collectif de défense du président déchu, basé à Amman et appointé par la femme et les filles de Saddam Hussein, compte 21 membres dont Aïcha, la fille du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. L'ancien dictateur a été accusé de “crimes contre l'humanité” pour son implication dans le gazage des Kurdes à Halabja en 1988 et l'écrasement de la rébellion chiite après la guerre du Golfe en 1991. Des charges pèsent également sur lui pour l'invasion du Koweït, le massacre de la tribu des Barzani dans les années 1980 et la mort de religieux chiites entre 1980 et 1999.