L'ancien n°1 du Front islamique du salut dissous use toujours de son légendaire clair-obscur politique. Dans un long entretien accordé au journal on-line aljazeera.net, l'ancien chef de l'ex-FIS revient sur le processus de réconciliation en cours, les circonstances qui ont abouti et suivi l'arrêt du processus électoral, la création d'une branche armée, l'AIS et ses relations avec les autres partis politiques au moment de la présence de l'ex-FIS en tant que formation hégémonique sur la scène nationale. Evaluant le 97% de «oui» du référendum du 29 septembre, Madani a estimé que les résultats «étaient connus d'avance, et hormis deux personnes qui ont exprimé leurs opinions personnelles, les ancien dirigeants et partisans de l'ex-FIS ont tous voté pour». Si le principe de la paix semble indiscutable, Madani reste toujours sceptique concernant les formes prises par ce projet de charte: «D'abord, le projet passe outre l'expérience et les événements historiques. Ensuite, il occulte la genèse de la crise. Lorsque je veux intégrer ces donnes dans une équation mathématique, je les pose dans le chapitre ‘'préambule'', duquel naîtront les résultats qui vont suivre». Ce passage donne à Madani l'occasion de revenir sur son sujet favori : l'arrêt du processus électoral en janvier 1992: «Lorsque l'ex-FIS avait remporté le premier tour des législatives de décembre 1991, une réunion a regroupé Abdelkader Hachani, alors représentant de l'ex-FIS, Abdelhamid Mehri, secrétaire général du FLN et Hocine Aït Ahmed, dirigeant du FFS. Les trois ont convenu de respecter trois règles: s'éloigner de tout acte de violence ou pouvant y mener, défendre l'intégrité du territoire national et faire part aux autorités de cet accord entre les trois Fronts. «Le PV de la réunion a été remis à Abdelhamid Mehri, qui fut chargé de le transmettre directement à Khaled Nezzar, qui était à l'époque ministre de la Défense nationale. La réponse de Nezzar a été que ce langage était dépassé et que le pouvoir en a adopté un autre, lequel sera connu incessamment. La suite avait été l'interruption du processus électoral, le décret portant état d'urgence et le gel de la Constitution.» L'arrêt du processus électoral ayant été justifié par la propagation de la violence, Madani ne pouvait se soustraire à quelques explications bien à lui: «Si quelqu'un essaye d'intenter à ma vie, suis-je responsable de mon assassin? L'agneau qui paît dans la prairie est-il responsable du loup, ou même du berger qui lui-même a fait alliance avec le loup? Même si on falsifie les informations, on ne peut pas déformer les événements (...) la mosquée ne peut être responsable d'un voleur de souliers.» Concernant la hauteur présomptueuse prise par l'ex-FIS vis-à-vis des partis politiques dit «laïques», et même des petits partis islamiques comme Ennahda, à l'époque dirigé par Abdallah Saâd Djaballah et la célèbre formule de «rejet» adoptée par l'ex-FIS envers et contre tous, et qui dit que «l'éléphant ne peut s'allier à une fourmi», Madani prend ces raccourcis: «C'était un langage subjectif et de conjoncture. C'était plutôt une stratégie basée sur une divergence de méthode, et une appréciation du plus fort et du plus faible, du plan grand et du plus faible (...), même si des mots d'ordre hostiles aux autres partis avaient été brandis pendant les marches de l'ex-FIS; on n'est pas comptable de ces débordements (...) nous ne pouvions interdire à aucun parti, quelle que fût son idéologie, a aucun homme libre, à aucun citoyen, fût-il communiste, juif ou chrétien, son droit à la liberté.» Revenant à la charte pour la paix et la réconciliation nationale, il dit: «Je témoigne que lorsque l'idée de la trêve m'avait été soumise, je l'ai bénie. Nous nous sommes entendus sur une solution négociée (en fait, avec le n°2 des services spéciaux algériens). «Je devais même lire un communiqué à ce sujet à la télévision, mais ce ne fut pas fait. J'avais pris sur moi la responsabilité que les autres acceptent ou n'acceptent pas mon soutien à la trêve (...) j'avais fait ce choix parce que la trêve était une solution globale, qui était constituée aussi bien d'éléments politiques que d'éléments sécuritaires.» Pour ce qui reste de la violence armée, à ce jour, il dit: «Il y eut des contacts avec les hommes encore en armes dans les maquis, mais je préfère laisser des détails de ces contacts à plus tard car ils exigent beaucoup de concentration.» Le septuagénaire garde à ce jour intactes ses facultés de contourner les choses, de jouer les ambiguïtés et d'user d'un clair-obscur qui a fait naguère ses heures de gloire. Son attitude circonspecte aujourd'hui vis-à-vis de la charte le met presque en minorité face à la masse des dirigeants du parti dissous, qui, malgré les critiques acérées portées à l'endroit de la charte, y ont, tous, adhéré totalement.