Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri suivaient aussi de près l'évolution du GIA sur le terrain. Il y a quelques mois, Scotland Yard décide d'arrêter Abou Mossaâb Es-Souri, le turbulent prédicateur londonien de la mosquée de Finsbury Park. Pour les ser-vices de sécurité algériens, il était plus que temps de mettre un terme aux fetwas djihadistes de cet imam hors normes, référent du GIA entre 1994 et 1997 et champion du salafisme radical et du djihad en Algérie. Cependant, beaucoup de zones d'ombre restaient à éclaircir: comment a-t-il atterri à la revue Al Ansar? Qui dirigeait cette revue, laquelle répercutait les actions du GIA en Grande-Bretagne et dans toute l'Europe? Quelle est la relation qui liait Abou Mossaâb Es-Souri à Djamel Zitouni, à Abou Qatada, ou à Abou Hafs El-Misri? Quels étaient les informateurs algériens de la revue Al Ansar? Quelle était la direction de la revue et qui en était le premier responsable? La disparition d'Al Ansar et l'effritement du GIA à partir de 1998 laissèrent beaucoup de zones d'ombre. La publication «en manuscrit underground» du témoignage d'Abou Mossaâb Es-Souri sur le djihad est un événement d'importance, en ce sens qu'il jette un peu de lumière sur le fonctionnement interne d'Al Ansar, ses heures de gloire, ses heures de décrépitude, son dépérissement et sa disparition finale. De son vrai nom Omar Abdelhakim, Abou Mossaâb Es-Souri a rédigé ce manuscrit fin 2004. gros plan sur un témoignage de l'intérieur. Abou Mossaâb Es-Souri révèle tout d'abord que ses relations avec les islamistes djihadistes algériens, remontent à la période 1987-1992 durant laquelle il eut l'occasion d'en rencontrer plusieurs à Peshawar et en Afghanistan, dont principalement Saïd Qari, qui sera un des membres fondateurs d'Al Qaîda en 1989. Saïd Qari était le responsable des camps algériens, et c'est tout naturellement que la rencontre, qui allait aboutir à une amitié plus durable, eut lieu. Qari, le lien A partir de 1993, Qari Saïd et ses proches collaborateurs reprennent le contact avec Abou Mossaâb Es-Souri et lui demandent d'aider, à partir de Londres, la cellule d'information du GIA installée dans la capitale londonnienne, mais celui-ci voulait d'abord, venir en Algérie, voir de près les «champs de bataille». Avec l'impossibilité de faire un voyage aussi périlleux, les zones de passage vers l'Algérie devenant de plus en plus surveillées, Abou Mossaâb dut se résigner à aider les djihadistes algériens à partir de l'Europe. «Les frères du Groupe islamique armé venaient de lancer la revue Al Ansar laquelle devenait, de fait, son canal de communication vers les pays occidentaux», dit Abou Mossaâb dans son témoignage. Son premier article pour le compte du GIA remonte à 1994, et la revue Al Ansar était à son 82e numéro. Ecoutons-le: «A cette époque de l'année 1994, le monde islamiste du djihad était à l'écoute de ce qui se passait en Algérie et on avait de bons espoirs pour que ce djihad aboutisse. Les Afghans arabes souhaitaient, après l'Afghanistan, prendre pied en Algérie. Oussama Ben Laden envoya des émissaires pour prendre langue et superviser les opérations du GIA. Il suggéra aussi d'y envoyer des hommes et des armes. Le chef du GIA, Abou Abderrahmane Amine, tenait une correspondance régulière avec Ayman Al-Zawahiri, le chef du «jihad» du groupe égyptien. Le groupe de la «Djamaâ el-moukatila» lybien, envoya des dizaines de combattants en Algérie et des djihadistes marocains s'employèrent dans des tâches d'acheminement de l'armement vers l'Algérie, même des djihadistes tunisiens participèrent à l'effort de guerre général, car à l'époque, le djihad en Algérie constituait une priorité pour tous!» Devant ce qui semblait être une vaste conspiration dirigée d'une main de maître et qui fonctionnait avec la précision d'un métronome, Abou Mossaâb Es-Souri allait être bientôt déçu: «Après mon arrivée à Londres et le début de mon travail de rédacteur dans la cellule londonienne du GIA, j'allais bientôt découvrir, éberlué, que, en fait, une grande anarchie régnait dans le monde qui gravitait autour du GIA». Tout d'abord, Abou Mossaâb, constate qu'Al Ansar est «phagocytée» par les islamistes algériens réfugiés en Grande-Bretagne, et que ces derniers procèdent par un amateurisme flagrant, étant fraîchement conquis par la poussée islamiste et la ferveur religieuse. Abou Mossaâb dit être resté encore avec le «groupe de Londres», bien qu'il insistait toujours auprès de ses relais algériens pour rentrer en Algérie. Le voyage ne se profilait toujours pas à l'horizon et le syrien continuait à rédiger dans Al Ansar, lorsque surgit un homme! Abou Qatada El Falastini. L'homme, Omar Abou Omar, venait de regagner Londres, et se faisait appeler le «cheikh» Abou Qatada. Palestinien de naissance, Jordanien de nationalité, Abou Qatada conquit vite les milieux islamistes londoniens grâce à une verve imprenable et à une érudition djihadiste très vaste. Abou Mossaâb n'en revient pas : Abou Qatada obtient très vite le droit d'asile, multiplie les prêches incendiaires et devient la coqueluche des Algériens à Londres. «La mode était au djihad et Abou Qatada en fit son axe central dans toutes ses discussions et ses prêches». Abou Qatada entre en scène Et c'est de toute évidence que Abou Qatada se retrouve rédacteur n°1 d'Al Ansar, et aussitôt après, référent doctrinal du GIA. Peu à peu, la revue prit de l'ampleur: «En 1995, Al Ansar était devenue une revue qui intéressait tous les milieux islamistes et même les médias occidentaux qui s'y référaient souvent pour puiser informations, analyses et documentation». Abou Mossaâb Es-Souri qui était le premier rédacteur d'Al Ansar et la plume la plus lue, cède devant la poussée d'Abou Qatada. Le Syrien relate les étapes qui ont conduit à la ruupture entre les deux hommes et la dislocation de la revue, reprise en main momentanément par Abou Hamza El-Misri. Abou Qatada, qui était considéré comme un des plus sûrs référents de la mouvance salafiste djihadiste radicale, justifiait tous les assassinats et les dérives du GIA. L'exécution de Mohamed Saïd et Abderrezak Redjem, fin 1995, annonçait la fracture finale entre les deux hommes. Une première réunion est provoquée au domicile d'Abou Qatada, qui nie que le GIA ait été l'auteur de ce double assassinat. Quelques jours après Djamel Zitouni annonce et justifie le crime contre deux membres «djazaâristes qui tentaient d'infiltrer politiquement le djihad afin de le vider de sa substance». Abou Qatada fait semblant de s'offusquer dans un premier temps, puis donne entière raison au chef du GIA. Cet événement, relaté avec minutie, a fait éclater le groupe de Londres, mais Abou Qatada a persisté à soutenir encore Zitouni. Il aura fallu qu'intervienne quelques mois plus tard, l'affaire de l'enlèvement, puis de l'exécution sur ordre de Zitouni, des sept moines trappistes, pour que le lien entre Londres et Alger soit rompu. A cette période, Scotland Yard fait une perquisition au siège d'Al Ansar et saisit des documents, puis dans une autre étape, arrête des islamistes algériens. Cette brusque poussée sécuritaire intervient à un moment où la DST française presse ses collègues londoniens de mettre sous la loupe les islamistes algériens. L'intérêt du témoignage d'Abou Mossaâb Es Souri se situe aussi - et surtout - sur le plan intellectuel, et on reste effaré devant le fonctionnement de la structure mentale des djihadistes et leur incroyable capacité d'adaptation aux situations extrêmes. Abou Mossaâb Es Souri cite aussi une série de noms, de relais, de «communicateurs» algériens qui s'occupaient de véhiculer l'information d'Alger vers Londres, soit par téléphone, télécopie ou par l'envoi d'émissaires. Le nom de «Rachid» revient souvent. S'agit-il de Rachid Ramda, alias Abou Farès, l'homme qui a fait courir Paris et Londres pendant dix ans? On n'en sait pas plus...