«Je regrette que les jeunes chanteurs chaâbi d'aujourd'hui ne soient pas encadrés et formés par les anciens.» Les fils El Ankis : Mokhtar et Hakim Boudjemâa, dignes héritiers de l'art paternel, ont brillamment rendu hommage à leur père aux côtés d'artistes tels Omar Mamèche, Youssef Totah, «Didine» Karoum, et la chorale polyphonique Naghem, qui ont fait salle comble ce jeudi à El Mougar (Alger). Ces derniers ont magistralement interprété quelques-unes des trois cents chansons qui ont jalonné les soixante ans de carrière du cheikh. Comme de tradition, les chanteurs étaient accompagnés par une vingtaine de musiciens, dont une demi-douzaine de violonistes, trois «qanoundji» et autant au banjo, comme au temps béni des maîtres du chaâbi. C'est Mokhtar Boudjemâa qui enchaîna juste après la prestation des choristes de Naghem qui ont ouvert la soirée. Il joua de l'instrument fétiche des chanteurs du genre, le mandole, en interprétant notamment «Djana el intissar» une chanson écrite par Boudjemâa El Ankis et qui évoque les manifestations du 11 décembre 1961 et qui se veut aussi un hymne à l'indépendance. Se succèdent ensuite sur scène Totah avec «Lyem zahia» puis Karoum qui fit longtemps applaudir les quelques quatre cents spectateurs venu à El Mougar, en exécutant merveilleusement «Rayha ouin». L'autre fils d'El Ankis ne décevra pas en interprétant à son tour le titre phare «Tchaourou aliya». Le doyen des artistes chaâbi, âgé de 78 ans, se vit offrir des fleurs et autres cadeaux par quelques représentants du département de Khalida Messaoudi. Néanmoins, le maître qui ne chanta pas ce soir, n'a pas manqué de dénoncer dans une déclaration à la presse, en marge de cette cérémonie, le manque d'intérêt que portent les autorités à l'enseignement du legs laissé par les anciens, en regrettant: «Je regrette que les jeunes chanteurs chaâbi d'aujourd'hui ne soient pas encadrés et formés par les anciens.» «Je suis le plus vieux de tous les artistes et le plus ancien en activité, pourquoi est-ce que l'on ne laisse pas transmettre l'héritage du chaâbi?» «Je ne peux faire ouvrir un conservatoire chez moi, mais c'est aux gens concernés d'ouvrir un centre spécialisé et je suis bien sûr prêt à enseigner, parce que j'aime mon métier», a-t-il affirmé. Alors que M.Abdelkader Chercham, un autre maître du chaâbi, n'a pas manqué de son côté de souligner qu'«il faut faire bénéficier les jeunes du savoir des anciens, tel El Ankis, qui peuvent encore donner beaucoup à l'art en Algérie». Né le 17 juin 1927 à Alger, 1re impasse du Palmier, Bir Djebbah à la Casbah, il rejoignit souvent Sid Ahmed Serri, grand mélomane à son époque. De 1939 à 1954, Mohamed Boudjemâa rêve déjà de devenir El Ankis, il s'essaye à la mandoline puis à la guitare, tout en écoutant et en enregistrant les grands maîtres. Grâce aux leçons de Chouiter et de Mohamed Kébaïli, dont la troupe travaillait sous l'égide du PPA à la fin des années 30, il fera la connaissance d'artistes tels que cheikh Saïd El Meddah, aussi prestigieux alors que Mustapha Nador. C'est en 1942, qu'apprenti il exécutera pour la première fois en public, à l'occasion d'un mariage «Alla rssoul el hadi salli ya achiq». Dans une troupe créée en 1945, Boudjemâa évolue entre El Anka et Mrizek, les deux monstres sacrés en ce temps-là. Ayant connu la détention et la torture lors de la guerre de Libération, il poursuivra son oeuvre après l'indépendance, particulièrement avec la chansonnette, pour cibler une jeunesse avide de rythme après des années de colonisation. Il fait appel pour cela à Mahboub Bati. Le marché et les ondes sont bombardés d'une soixantaine de tubes à succès comme Tchaourou alia, Rah el ghali rah, Ah ya n'tiyya. Le secret de la réussite : des mots simples, du rythme et des thèmes qui traitent des préoccupations des jeunes.