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«Les Archives, ce n'est pas un travail mais une passion...»
Nabil Djedouani, réalisateur et comédien franco-algérien, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 30 - 09 - 2019

L'Expression : Vous revenez à Béjaïa après quelques années où vous aviez déjà joué dans un autre film de Rabah Ameur Zaïmeche Histoire de Judas. Vous y incarnez le rôle de Jésus-Christ. Sur Terminal Sud vous étiez assistant-réalisateur, mais vous y jouez aussi un rôle. Un film pour le moins déstabilisant, projeté cette année dans le cadre des 17es Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Quel regard portez vous sur ce scénario ?
Nabil Djedouani : C'est un scénario qui a été écrit au départ pour être tourné en Algérie, inspiré de la décennie noire, mais aussi de La Peste d'Albert Camus par exemple. C'est l'une des références. Tout les acteurs avaient en tête l'Algérie, même si le réalisateur a fait le choix de créer un lieu qui n'existe pas. Car cela peut être la France, l'Algérie, le Liban, la Syrie, la Tunisie ou la Sicile. En tout cas, tous les comédiens avaient en tête l'Algérie, la décennie noire . On était habité par cette histoire-là. C'est ce qui nous importait durant toute la durée du tournage. Rabah a voulu brouiller les pistes.
C'est aussi sa façon de faire, mais aussi de délaisser son scénario qui était très bien écrit, pour beaucoup improviser après et partir à la recherche des paysages comme il le fait souvent.
Vous y incarnez le rôle d'un rédacteur en chef prénommé Nabil... Une façon de rester collé plus ou moins à la réalité ?
C'est sa façon de faire . Le rôle je l'ai préparé en pensant bien évidemment à toutes les victimes du terrorisme et les journalistes assassinés pendant les années 1990. Je me souviens avoir relu Saïd Mekbel, Tahar Djaout pour pouvoir vraiment m'imprégner de cette époque-là.
Depuis quelques années vous vous êtes transformé en une sorte de maître garant de l'héritage cinématographique algérien sur les réseaux sociaux. Vous y mettez vos coups de cœur tout en faisant des recherches sur ces archives-là. Comment c'est venu ?
C'est sur une page facebook et une chaîne YouTube . C'est venu d'un manque parce que j'ai consacré mes études au cinéma algérien. J'ai un master 2 en études cinématographiques et j'ai voulu écrire sur le cinéma algérien. Je me suis rendu compte qu'il y avait vraiment un manque de sources et que l'accès aux films était très difficile. A partir de cette époque-là, j'ai commencé à collecter des documents et des films . j'ai fini mes études en 2008 et j'ai créé la page facebook « Archives numériques du cinéma algérien » en 2010 ou 2011 je crois.
Ça dure, parce qu'on se rend compte qu'il y a vraiment une quantité de films que l'on ne connaît pas et moi, j'ai vraiment une passion pour cela, aller les rechercher et les valoriser modestement à travers les réseaux sociaux. Je vois que cela a un réel impact.
Là, pendant les rencontres (Rencontres cinématographiques de Béjaïa, Ndlr), j'ai eu des témoignages incroyables de la part de personnes qui sont venues me remercier pour le travail que je faisais.
Pour moi ce n'est pas du travail , c'est une passion. Je fais ça dès que j'ai du temps libre.
Ce qui est incroyable, c'est que je trouve des choses en permanence.
Peut-on savoir de quoi vous vivez ?
Je suis intermittent du spectacle . Je gagne ma vie parfois en faisant des films ou en étant assistant-réalisateur avec Rabah Ameur Zaïmeche ou comme comédien aussi…
Vous avez organisé récemment en France un évènement qui allie cinéma et musique.
C'est une création qu'on a fait cette année car j'étais en résidence au Musée national de l'histoire et de l'émigration à Paris où j'ai réalisé un court métrage documentaire. Dans le cadre de cette résidence avec un artiste qui s'appelle Nadir Moussaoui , qui est Dj, nous avons créé une performance audiovisuelle basée à partir d'images d'archives toujours. Cela s'appelle Menfi et c'est consacré à l'histoire de l'émigration algérienne notamment mais plus largement à l'histoire de l'émigration en France dans les années 1960-1970. J'ai été à la recherche de documents de cette époque-là. Là, aussi on découvre des choses qu'on n'a pas vues.
Vous travaillez actuellement sur un film. Vous revenez derrière la caméra depuis votre expérience avec Afric hôtel avec Hassan Ferhani.
Je reviens dix ans après pour réaliser un court métrage documentaire qui s'appelle Rock against police. Ce sont des concerts qui ont été organisés au début des années 1980 par des jeunes émigrés de banlieue, notamment dans la région parisienne, un peu en réponse et en réaction à toute une vague de crimes racistes et bavures policières, qui avaient existé à cette époque-là. Le film est d'une terrible actualité.
Ça continue à se passer comme ça, même aujourd'hui hélas ! L'idée était encore d'aller chercher des archives, mais surtout d'aller trouver des témoins de cette époque qui nous raconte l'ambiance de ces concerts et le contexte politique. Je suis en train de terminer le film. C'est un documentaire fait d'entretiens et d'images d'archives.
Vous avez sans doute interrogé des artistes de l'époque Touche pas à mon pote ?
Justement, je me suis intéressé à la période d'avant. Ce qui s'est passé avant la marche des beurs. Pour moi, la réponse contre cette répression policière s'exprimait par le rock, y compris par Johnny Halliday. Le rock a été vraiment la musique populaire la plus répandue et avec la funk notamment.
C'était très répandu dans les quartiers populaires. Ce qui m'intéressait c'était de parler d'un mouvement qui a été la prémice de ce qu'on a appelé « La marche des beurs » . Cela m'intéressait car c'était par la musique et beaucoup plus radical politiquement.
C'est une mémoire qui est difficile d'accès. Déjà, il y a très peu d'archives et puis les gens sont restés assez traumatisés. Peut-être que le terme est un peu fort, mais... c'est une époque qui les a beaucoup marqués.
J'ai eu beaucoup de difficultés à accéder à des témoignages en fait. J'ai tout de même réussi à retrouver, notamment un chanteur qui s'appelle El Mounsi, un chanteur d'origine algérienne qui a pu sortir un album au milieu des années 1980 et qui était déjà dans ce mouvement « Rock against police » depuis le début.
Ce sont donc tous des artistes algériens issus de l'émigration.
Bien sûr, c'est une histoire française, entre guillemets. Ce que j'ai découvert c'est que ces gens-là qui ont créé ces concerts, étaient quand même les héritiers du 17 Octobre 1961. Mon film je l'ai un peu axé là-dessus. Il y a une part assez importante de la mémoire algérienne de Paris, de ces enfants-là. Mounsi est un enfant du 17 octobre 1961. Il y a une permanence dans la gestion policière des quartiers des années 1980, qui dure jusqu'à aujourd'hui
Dommage que Rachid Taha n'est plus là pour en témoigner.
C'est terrible ! Mais je lui fait un clin d'œil dans mon film. J'aurai adoré le rencontrer.
Parce qu'il a fait partie, plus ou moins, de ce mouvement mais du côté de Lyon avec le groupe Carte de séjour et puis Zebda avec qui je vais travailler, prochainement au mois de décembre. On prépare un spectacle début décembre, destiné au jeune public, mais toujours sous forme de ciné-concert avec eux. Ce sera toujours à partir d'images d'archives algériennes, mais là sur le cinéma comique algérien, le cinéma burlesque.
On a été chercher du côté de Zinet, Zemouri… des films que j'ai retrouvés, notamment de James Blue qui a fait des films burlesques après l'indépendance. Moi je vais m'occuper de la partie visuelle et eux ils vont jouer leurs morceaux. Cela pourra être tourné même ici en Algérie. On est en cours de création.


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