Les 13es rencontres cinématographiques de Béjaïa ont rassemblé, comme chaque année, les professionnels et les cinéphiles afin de découvrir des productions inédites. Rôle fulgurant ou clichés à tout va, le cinéma algérien existe et dérange. Vous n'aurez qu'aujourd'hui pour profiter des dernières projections. La preuve avec Nabil Djedouani, un comédien dont on va forcément beaucoup parler. - Pour votre premier rôle au cinéma, vous avez interprété le rôle de Jésus. Un début particulier ! Comment vous êtes vous adapté à ce personnage ? Je suis allé vers le rôle de Jésus avec de l'amour, de l'humilité et l'envie de respecter une figure universelle. Figure qu'on retrouve en islam avec son retour, à la fin des temps, évoqué dans le Coran. Je me suis beaucoup documenté parce qu'en France, nous sommes entourés par la figure du Christ à l'Eglise et à l'école. Mais est-ce qu'on connaît vraiment Jésus ? Jésus est toujours représenté, notamment à Hollywood, comme un homme blond aux yeux clairs. J'ai voulu, dans un premier temps, m'approcher des textes bibliques mais aussi de documents plus contemporains. J'ai même lu des théories d'après lesquelles Jésus n'aurait jamais existé ! - Vous avez dit, lors du débat ici à Béjaïa, que vous avez retenu de ce rôle le message d'amour comme «une énergie universelle»... C'est le message principal de la parole du Christ. Jésus était arrivé dans une Judée, une Palestine, colonisée où le judaïsme se transformait en une force communautaire oubliant l'enseignement universel du monothéisme. Jésus arrive et fait exploser tout ce cadre-là en prononçant des paroles d'amour. - Peut-on penser à une réhabilitation de Judas dans le film de Rabah Zaïmèche. Judas, pour les chrétiens, est un traître puisqu'il aurait livré Jésus aux Romains ? La volonté de Rabah Ameur Zaïmèche était de trahir cette figure de la trahison, de la déconstruire par le cinéma. Selon lui, les forces d'occupation romaines savaient très bien où était Jésus et où il prêchait. Donc, pas besoin de traître. L'idée du traître Judas a été la racine de l'antisémitisme chrétien qui a eu des répercussions terribles au XXe siècle. - Dans le film, on ne voit pas comment Jésus a été arrêté. Le film fonctionne par ellipse, il n'y a pas l'arrestation, la crucifixion. Il fallait montrer la figure de Judas mais par les autres. Rabah a préféré s'attarder sur des moments-clés comme le procès, mais avec une relecture. Un procès à huis clos. Les images ont été tournées dans le site de Timgad, à Batna. Le Christ, quelque peu orgueilleux, dit à Ponce Pilate (préfet de Judée) que l'empire qu'il représente n'est qu'un champ de ruines. Finalement, son message traversera les temps. - En Europe, en France, des chrétiens ont critiqué le film reprochant au réalisateur d'avoir «renversé la parole de Dieu». Il y a en effet une lecture politique. Le film est sorti après les attentats du 11 janvier 2015 à Paris. Donc, on arrive dans ce contexte précis avec ce film. Film conçu dans un esprit d'amour et de conciliation. Le clivage entre communautés est très présent en France. Rabah a essayé de s'élever au-dessus de tout cela. La presse catholique de droite a été heurtée par le fait qu'on fasse le choix de ne pas montrer la crucifixion et que Jésus soit incarné par un jeune issu de l'immigration, peut-être même musulman. Quelque part, cela peut déranger certains esprits plutôt conservateurs. - Ne pas montrer Jésus crucifié peut aller dans le sens de la version coranique. On peut le penser... Je suis assez d'accord avec vous. Cette question a été abordée pendant le tournage. L'absence de Jésus, du tombeau, son retour...Des questions que se pose le réalisateur. On ne sait pas si Jésus part au Paradis, revient sur terre, s'il disparaît... Je ne pense pas que le film va heurter les musulmans. Il a été fait dans un grand respect et pas du tout dans un esprit de blasphème. - Quelle a été la perception du public à la sortie du film en France ? Le film a eu une très bonne presse en France du Figaro à Libération en passant par La Croix et Télérama. Le public a été choqué quelque peu par la forme du film qui fait le choix d'une temporalité particulière, avec des comédiens pas forcément professionnels, une langue pas facile, plutôt littéraire. En tout cas, on a eu de bons retours, le film est resté longtemps en salle et continue sa vie dans les festivals. - Vous êtes aussi réalisateur. Que comptez-vous faire dans le futur ? J'ai envie de réaliser des films en Algérie. Il y a des choses à raconter sur ce pays. Un pays jeune. Tout est encore à faire, à construire. Il y a des décors et une lumière magnifiques qui se prêtent au cinéma, des régions d'une diversité incroyable. Rabah Ameur Zaïmèche a décidé de réaliser le film à Biksra, en Algérie. C'est un choix politique. Il pouvait le faire au Maroc ou en Tunisie où on lui a montré des studios. En Algérie, on peut tourner ce genre de films, des péplums, des fictions historiques. Sur ce long métrage, nous n'avions pas de grands moyens mais en tout cas, l'Algérie est un pays de cinéma. Nous pouvons le devenir. - Vous avez sûrement des thèmes en tête sur ce que vous voulez faire en Algérie ? Quand j'arrive en Algérie, je constate que les Subsahariens sont toujours aussi nombreux, fuyant la guerre comme les Maliens. L'Algérie est une terre de passage qui subit les répercussions du contexte géopolitique. Tout cela doit être raconté. J'ai envie, par exemple, de traiter le sujet de l'histoire du rock en Algérie, les histoires familiales et leur rapport avec la guerre de Libération nationale, les moudjahidine, les harkis...racontons tout cela. C'est notre histoire. Elle nous appartient, ne la laissons pas être racontée par d'autres, comme ce fut trop longtemps le cas. - Et pour votre carrière d'acteur ? C'était une première expérience avec Histoire de Judas. C'est une manière de soigner ma timidité. Je ne sais pas encore si je vais poursuivre l'expérience. Ma place est peut-être derrière la caméra.