C'est plutôt le côté historique et anecdotique qui a constitué un centre d'intérêt, un secret dévoilé par-ci, une indiscrétion balancée par-là. Afin de restituer les choses en leur lieu et place, il a fallu que Madani Mezrag s'affuble de tout l'état-major de l'AIS pour réussir son «come-back médiatique», après l'épisode qui a coûté à l'ancien émir de l'Armée islamique du salut une levée de boucliers de la part de quelques journaux de la presse privée. Ainsi, Madani Mezrag, émir national de l'AIS, Mustapha Kertali, émir de la région centre, Mustapha K. de Collo et Skikda et Docteur Turki de Aïn Defla, etc. étaient tous, hier, au siège de la fédération du mouvement associatif national d'El Mouradia, réunis pour convaincre une presse devenue tout à coup hostile. Le petit retard accusé par Mezrag avait permis aux responsables du mouvement associatif, dont Abderrahmane Adjadj, de faire un large survol critique de la situation économique nationale, de lacérer Ould Abbès au passage et d'expliquer que leur mouvement, qui fait de la réconciliation nationale son credo, continue de fonctionner sans aucune aide de l'Etat. Ce petit intermède passé, Mezrag entre, prend siège et se lance directement dans un long rappel des circonstances historiques qui ont mené ses hommes aux maquis de l'Est. L'entretien donné par Jeune Afrique l'Intelligent est disséqué, ses passages commentés, des déclarations démenties et des paragraphes entiers qualifiés de «mensonges». Les grands thèmes abordés par Mezrag n'étaient pas des nouveautés, en fait. Le discours du cheikh est connu concernant Ali Benhadj, un troisième mandat pour le président, ses rapports avec le GIA ou ses liens avec Belkhadem (lire l'article signé par Abdelkader Harichane). Mais c'est plutôt le côté historique, anecdotique, qui a constitué un centre d'intérêt, dévoilant un secret par-ci, balançant une indiscrétion par-là et donnant entre deux sujets une information tenue jusque-là au placard. Une des grandes révélations du jour aura été la mort du journaliste algérien Ali Ben Si Ali, qui était reporter à la chaîne de télévision BBC. Celui-ci s'était présenté aux maquis de l'AIS de Jijel en 1994, alors que la guerre faisait rage. Madani Mezrag dit avoir rencontré le journaliste et l'avoir mis en garde que la situation était dangereuse, voire périlleuse, et qu'il faut qu'il prenne ses précautions lorsqu'il monte ou quitte un maquis. Par la suite, le journaliste avait été tué, alors qu'il venait de rencontrer des chefs du GIA et s'apprêtait à revenir à Jijel. «Nous avons été corrects avec lui et à aucun moment nous ne voulions mettre sa vie en danger. C'est dommage qu'il ait été tué par erreur dans un arrêt de bus par des gendarmes.» Autre sujet, tabou jusque-là, l'argent des maquis: «Nous avons reçu beaucoup d'argent de la part de l'instance exécutive de l'ex-FIS à l'étranger. Cet argent a été reçu et a servi à la trêve des hommes de l'AIS. Sans cet argent, je n'aurais jamais été capable de gérer la trêve. Les autorités militaires sont au courant de cela. Sinon, comment faire vivre des milliers de «trêvistes», d'autant plus que l'Etat, contrairement à ce qui s'est dit, n'a pas déboursé un seul dinar pour la trêve (...). Il y a une part de cet argent qui a été fructifiée par nos hommes et au bout de cinq ans, on en tire les bénéfices et on vit avec.» Autre sujet tabou: les femmes des maquis: «Nous ne sommes pas des hommes à femmes. Je n'ai connu de femme que la mienne propre avec laquelle j'ai dix enfants. Et si je suis, moi et mes hommes, respectueux des femmes, c'est parce que ma femme et mes enfants ont été capturés par les forces de l'armée et ont été entourés du plus grand respect. Jamais nous n'avons kidnappé de femme, jamais nous n'avons violé quiconque, jamais nous n'en avons tué aucune.» «(...) Lorsque les premières fetwas du GIA en 1995, inspirées d'Abou Qatada et d'autres extrémistes, ont été mises en pratique, j'ai dit «attention, la suite sera une dérive pure». Car, à l'époque, on parlait de «ridda ayniya», c'est-à-dire que l'ensemble du peuple est excommunié, donc condamné à mort. Cette sentence induit que ses femmes, ses filles, son sang et son argent étaient désormais licites. Cette nouvelle escalade idéologique déviante allait avoir des effets très graves, dont, justement, le viol, le rapt et l'assassinat des femmes. Mais cela, c'est le fait du GIA , et aucune autre organisation n'a suivi le GIA dans ses dérives... Autre point d'importance: Mezrag estime que la thèse des relations entre le Gspc et Al Qaîda peut être perturbée. «Il s'agit tout au plus de desperados, d'islamistes déçus , qui n'ont pas la stature de s'allier à Al Qaîda. On préfère parler de penchant pour elle, tout au plus.» Concernant les dispositions actuelles des groupes armés, et principalement ceux affiliés au Gspc, considéré comme l'organisation armée la plus importante et la mieux structurée en Algérie, Mezrag dit que «si les textes de loi sont correctement rédigés, il n'y aura plus personne dans les maquis d'ici à une année tout au plus». Le fait que l'Etat prend tout son temps pour rédiger ces textes de loi «est une bonne chose, car les textes faits dans la hâte et la précipitation ne sont jamais qu'imparfaits» et peuvent bloquer les contacts «établis avec les groupes armés qui peuvent être très fructueux».