La dernière page du livre tournée, on a poussé un grand soupir de soulagement. Ouf ! Au diable les djinns, les envouteuses, les exorcistes, au diable Lilia, Souheil, Adel, Mehdi, Asma et même la gentille Loubna, Nadjet et la petite et innocente Nardjes. Et puisqu'on y est, pourquoi oublier Antar l'armoire à glace marocaine ? Pourquoi oublier aussi le ripou général Abdesslam, mort de chagrin. Pas un chagrin d'amour, non, de ce côté-là pas de problème, à la place du cœur il avait un coffre-fort, non, chagrin d'un père qui a vu son fils faire la paire ( va pour la rime) et prendre la poudre d'escampette avec la vénéneuse Lilia, femme fatale. Si fatale qu'on s'est dit que l'auteur en fait des tonnes. Ce n'est plus un roman, mais un film de série B indienne. Ce n‘est pas possible qu'aucun mâle,ne lui résiste. Elle fait d'eux ce qu'elle veut, les rejette, les insulte, puis les reprend, puis les rejette, ouste ! Ça relève de la magie ? Non. D'un manque de profondeur des personnages. Tout le mondeil est beau Mais présentons d'abord les protagonistes de ce roman si particulier où tout le monde est d'une beauté renversante, tout le monde amoureux de Lilia, tout le monde qui a des réactions de roman de la collection Arlequin. Ce qui n'est pas mauvais en soi. Il fallait juste le mentionner sur la couverture du livre pour cibler un lectorat entre 6 et 16 ans. Non pas que l'intrigue soit puérile, non, à la limite elle se défend, mais dans la naïveté des personnages aux réactions primaires, aux situations abracadabrantesques et aux dialogues désynchronisés. Il y a d'abord la veuve Asma à la tête d'une entreprise florissante : « Electronic-Algérie. » Elle a beaucoup de cœur et ce qui ne gâte rien, un grand sens des affaires. Elle n'a pas refait sa vie, même si son mari est décédé depuis 18 ans. En cela elle est algérienne jusqu'au bout des ongles. On sait bien que les veufs se remarient avant même que leur défunte épouse, ne soit froide, alors que les veuves le restent jusqu'à la mort. Voici le portrait sans nuance d'Asma : « Douée d'un sens inné du business, d'une habileté parfaite, et malgré les entraves de l'administration algérienne, Asma fit prospérer la société. Bienveillante et honnête, elle sut former et s'attacher des employés sérieux, fidèles, en qui elle avait une confiance absolue. ». Notez-le : une femme parfaite. Présentons Adel, l'un de ses collaborateurs qu'elle avait pris en charge dès l'âge de six ans à la suite du décès accidentel de ses parents. « Adel, trente-cinq ans, avait un visage doux, toujours rasé de près, éclairé par des yeux bleus très vivaces et déjà sillonné par quelques rides horizontales précoces sur le front. Après de brillantes études en économie, il se fit remarquer par de réelles aptitudes dans la gestion de l'entreprise. Son habileté à traiter les affaires les plus ardues lui valut la confiance de la gérante.Ces deux dernières années, il était devenu pratiquement son associé. » Notez-le : un homme parfait. Troisième larron, Mehdi, la trentaine « sensible et crédule». Après l'incarcération pour malversation de son père, sa mère l'avait confié à Asma la bonne samaritaine. « Il avait l'œil sur tout. (…)Elancé et athlétique, il avait l'air jovial, des yeux noirs rieurs et une physionomie ouverte, pleine de franchise et d'intelligence. » Notez-le : un homme parfait. Il y a Loubna la prunelle des yeux d'Asma : « Loubna la cadette était blonde comme les blés mûrs, de petite taille, mais adorablement jolie et distinguée. Elle était diabétique et son état de santé ne lui avait pas permis d'accéder à l'université. » Notez-le : une femme parfaite. Même son diabète est parfait. Et même si son niveau d'instruction n'est pas élevé, on apprendra, deux cents pages plus loin, qu'elle avait un sens des affaires bluffant. Notez-le :une femme parfaite. Il y a Lilia enfin, l'enchanteresse Lilia. Les superlatifs dont l'auteur use pourtant en abondance semblent lui manquer pour la décrire. « L'aînée, Lilia était brune, merveilleusement belle, avec d'admirables yeux verts de jade, d'une profondeur étrange. Grande, élancée, le buste droit, la gorge proéminente, elle personnifiait la beauté dans toute sa splendeur. Son corps était mis sensuellement en valeur par un jean et un tee-shirt. » Notez-le : plus qu'une femme, un ange. Dans cette description d'un être fabuleux, le mot « proéminente » pour la poitrine détonne. Trop trivial pour Lilia dont la poitrine était un très bel ornement à sa beauté. C'est mieux que proméminente, non ? Le sixième larron, bourreau de Loubna et victime de Lilia est un fils de général à la retraite. Il a pour nom Souheil. Lui aussi a toutes les qualités. « Lefiancé avait la captivante beauté des hommes du désert et des yeux au regard doux. Né d'un père originaire du Sud algérien et d'une mère issue d'une riche lignée constantinoise, Souheil réunissait tous les atouts de ses ascendants. » Notez-le : un homme parfait. Récapitulons. Ils sont tous beaux à en crever de jalousie, tous intelligents. Alice au pays des merveilles. Pas l'ombre d'un physique disgracié, pas l'ombre d'une nuance genre : « Dieu lui a donné la beauté du diable avec aussi son esprit démoniaque. » Exception faite de Lilia. Mais on lui pardonne tout à cause de sa beauté. Dallas à l'algérienne Tout ce beau monde tient de la série Dallas. Démonstration. Loubna est amoureuse folle de Souheil qui est lui-même amoureux fou de Lilia qui est tout aussi folle de lui. Il va épouser Loubna qu'il n'aime pas. Un esprit logique se dira : pourquoi n'épouserait-il pas Lilia ? Tout simplement parce que Lilia n'est que la demi-sœur de Loubna qui est le gros morceau dans l'héritage. Notons au passage que le défunt Asfour a eu Lilia avec une très belle maîtresse (on reprend l'auteur) de bas niveau. Quand il est mort, la charitable Asma a récupéré la petite Lilia en rétribuant grassement Nadjet pour qu'elle disparaisse de la vue de l'enfant. Ce n'est pas fini. Souheil, l'irrésistible, a engrossé et abandonné Ismahen, la sœur de Mehdi. Pour une fois va-t-on tomber sur une femme juste charmante? Description. « Elle (Ismahen) était habillée d'un jean serré qui moulait ses jambes sveltes et d'un chemisier blanc qui faisait ressortir son teint mat et sa longue chevelure châtain clair. Ses yeux marron rieurs dégageaient un charme irrésistible. » Notez-le : une femme parfaite. Ou bien l'auteur est si généreux de nature qu'il voit la beauté partout. Ou bien c'est un auteur frappé d'une sorte de cécité sélective : il ne voit que le beau. Est-il beau lui-même ? On ne sait. Ce qu'on devine, c'est qu'il se voit beau, très beau, un mélange de Souheil, Adel et Mehdi. Une sorte de Richard Gere mélangé à Brad Pit. Loubna va donc épouser le grand amour de sa sœur, Lilia. Celle-ci, rouge de colère et d'orgueil lui rétorque : « Tu prends le fils d'un général, pourquoi n'épouserais-je pas le fils d'un ministre ? Nos parts d'héritage ne sont-elles pas les mêmes ? » Et non, elles ne sont pas les mêmes. Fils de ministre ? Lilia ne sait-elle pas que les fils de ministres sont en prison, parfois avec leurs pères. Pour se venger Lilia épouse Adel. Pauvre Adel. Il ne sait pas ce qui l'attend. Quant à Mehdi, il est amoureux grave de Lilia. Dans ce roman tout le monde est amoureux de Lilia. Même Lilia est amoureuse d'elle-même ! En matière de dialogue étonnant, en voici un. Une amie d'Ismahen, dépressive, lui parle de son frère Mehdi : « Ton frère Mehdi est à tes côtés, il est beau et fort, tu n'as rien à craindre ! ». Franchement, que vient faire la beauté dans cet argument ? L'auteur aurait écrit : « Il est fort et fhel » on aurait compris, mais beau ? On peut être beau et c… à la fois, comme le chante si bien le grand Brel. Un autre exemple ? Un échange entre Lilia et son mari Adel qu'elle avait abandonné pour fuir à Casablanca avec son amant Souheil. Cocufié jusqu'aux oreilles, bafoué, sa réputation jetée aux chiens comme aurait dit Mitterrand, Adel parvient enfin à localiser la fuyarde. Il la tient à sa merci. « Comme glacée d'épouvante, elle ne répondit pas. Il se pencha sur elle et lui cria à l'oreille :- ‘'Bandit ! Sale vermine ! J'aurais pu te pardonner d'avoir un amant, mais voler ta mère, et le mari de ta sœur, cela, jamais !'' ». Arrêtons-nous à cette phrase incroyable : « J'aurais pu te pardonner d'avoir un amant… » Cette réplique de vaudeville passerait en Suède pays de la tolérance sexuelle, mais en Algérie elle est carrément surréaliste. Même si la fiction nous permet certaines libertés avec la réalité, encore faut-il qu'il y ait de la cohérence et du vraisemblable. Ne soyons pas trop sévère avec « L'ensorceleuse » de Abderrazak Bensalah. Même si le roman ne nous a pas ensorcelés, l'auteur a fait ce qu'il a pu avec beaucoup de cœur et de générosité. Sans doute la beauté qu'il voyait partout est un sortilège dont il est victime. Qu'il aille consulter l'exorciste Hadj Djaâfar qu'il nous fait connaître dès la première phrase du roman.