Après plusieurs ajournements contraints et forcés, la réunion entre le chef du gouvernement désigné, Elyes Fakhfakh, et les partis politiques invités aux concertations sur la formation du prochain gouvernement, a donc eu lieu. Cependant, il s'agit d'un coup d'épée dans l'eau puisque aucun accord n'a été scellé, à cette occasion, certaines formations ayant situé la barre très haut, au point d'ébranler les certitudes du chef du gouvernement à la manœuvre. Le feuilleton va ainsi se poursuivre pour la saison II, avec un processus aussi cahoteux que celui vécu par le malheureux prédécesseur Habib Jamli. Depuis le 28 janvier dernier, date du lancement des tractations au sein des commissions communes partis politiques-groupes parlementaires retenus par Elyès Fakhfakh en vue de former le gouvernement, les tentatives ont été nombreuses qui visaient à élaborer un document contraignant à même de fixer le cap en matière de programme socio-économique. Ceci avec les conséquences évidentes sur la distribution des portefeuilles et la détermination des priorités et des mécanismes de la future gestion gouvernementale. Or, Elyès Fakhfakh a commis une erreur dont tout indique qu'elle pourrait être fatale, écartant de lourdes machines telles que Qalb Tounes, de Nabil Karoui, auquel le président Kaïs Saïed reproche de traîner quelques casseroles, et le Parti Destourien Libre, de Abir Moussi, à laquelle le même Kaïs Saïed reproche de contester la légitimité de la Révolution du jasmin contre le régime de feu Zine el Abidine Ben Ali. Fakhfakh reste tributaire des choix non dits que le chef de l'Etat a formulé en le désignant chef d'un gouvernement issu des tractations entre Ennahdha, Attayar, le Mouvement Echaâb, Tahya Tounes, Nidaa Tounes, Al Badil Ettounsi, Afek Tounes et l'Union populaire républicaine (UPR), la coalition al Karama, d'obédience islamiste elle aussi, ayant refusé de partager le banc avec Tahya Tounes. En étudiant le projet de programme intitulé « le gouvernement de la clarté et du rétablissement de la confiance », tous ces partis concernés ont émis des réserves et soumis plusieurs exigences que Fakhfakh a pris en compte, arguant d'un souci majeur qui concerne la mise en œuvre des réformes importantes dont la Tunisie a besoin. Mais il y a eu, entre-temps, le retrait de Machroû Tounes et de Afek Tounes qui ont signifié leur désaccord avec la démarche engagée par Elyès Fakhfakh, accusé de «discrimination» et même d' « exclusion ». A leurs yeux, il est apparu, non sans un certain retard, que la mise à l'écart de Qalb Tounes et du PDL pourrait découler d'un choix du président Kaïs Saïed alors que le chef du gouvernement l'avait justifié par avance en soulignant la distance entre le programme de ces formations et les grandes attentes des Tunisiens. Les deux partis incriminés ont bien sûr réagi, Qalb Tounes criant au fait non démocratique, synonyme de danger pour le pays, et à une manœuvre de Kaïs Saïed pour aller vers la dissolution du Parlement, sans en assumer la responsabilité directe. Quant au PDL, il s'en tient à sa stratégie coutumière qui met tout ce beau monde dans le même sac, mettant en garde Elyès Fakhfakh contre un « isolement » suicidaire. Mais celui-ci croit à «la symbolique du deuxième tour de la présidentielle et à la volonté exprimée massivement par le peuple», lors de ce scrutin, de sorte que seuls comptent pour lui les partis qui « partagent les valeurs du chef de l'Etat, Kaïs Saïed, ainsi que la volonté des citoyens pour le changement et la lutte contre la corruption». La réunion qui a regroupé, lundi dernier, les différents partis et le chef du gouvernement désigné n'a pas dérogé à ces positions, de sorte que Machrou Tounes a décliné l'invitation, puisque Elyes Fakhfakh a maintenu son rejet de Qalb Tounes et du PDL. En outre, Ennahdha a refusé de signer le document-programme, tout en plaidant pour un gouvernement d'union nationale sans exclusive et doté d'un programme socio-économique limpide. Autant de signes de mauvais augure pour Elyès Fakhfakh et pour le peuple tunisien dont un sondage affirme qu'il boycottera d'éventuelles législatives anticipées à plus de 50%, au risque de bouleverser les rôles et les ambitions du futur Parlement. Un risque que la plupart des partis voudraient cependant éviter…