On pensait que le parti Ennahdha et Rached Ghannouchi qui ont mené pendant deux mois d'intenses négociations avec le chef du gouvernement désigné par le président Kaïs Saïed, Elyès Fakhfakh, au lendemain de l'échec de son prédécesseur Habib Jamli, allaient tout faire pour éviter des législatives anticipées et qu'ils concluraient donc, même la mort dans l'âme, un deal pour entériner l'équipe proposée samedi. Or, ne voilà-t-il pas que le Majless Echoura déclare, deux heures à peine avant la divulgation du nouveau gouvernement, qu'Ennahdha ne votera pas la confiance au sein du Parlement, Fakhfakh ayant maintenu l'exclusion de Qalb Tounes alors que la formation islamiste plaidait pour sa participation en tant que deuxième composante de l'ARP¨. Pour le Majless Echoura, il s'agit, a-t-on affirmé, non pas de défendre Qalb Tounes mais de faire respecter le résultat des urnes en faisant participer tous les partis d'envergure à un «gouvernement d'union nationale». On aura compris l'argumentaire mais la réalité veut que Rached Ghannouchi, élu au perchoir avec les voix de Qalb Tounes, a tout intérêt à ménager celui-ci dans une conjoncture tout à fait incertaine. Que va-t-il se passer, maintenant? A compter du 15 mars, et en dehors du fait que Fakhfakh, «conseillé» par le chef de l'Etat, a repris des consultations avec les différents partis, pour remodeler l'équipe gouvernementale, le président Kaïs Saïed, dépositaire de la prérogative constitutionnelle, devra, en cas de nouvel échec, dissoudre le Parlement actuel à partir du 15 mars prochain et convoquer de nouvelles législatives. L'article 89 de la Constitution stipule: «Si, dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l'Assemblée des représentants du peuple n'ont pas accordé la confiance au gouvernement, le président de la République peut décider la dissolution de l'Assemblée des représentants du peuple et l'organisation de nouvelles élections législatives, dans un délai d'au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours.» Compte tenu du fait que les partis les plus en vue au sein de l'ARP sont Ennahdha, Qalb Tounes, la coalition Al Karama et le Parti destourien libre (PDL), tous déterminés, pour des raisons diverses, à ne pas accorder la confiance au gouvernement Fakhfakh, la Tunisie va tout droit vers cette nouvelle élection, à moins d'un surprenant saut d'obstacle qui ne saurait excéder le jeudi prochain. Fakhfakh a été désigné le 20 janvier dernier et il dispose, selon la Constitution, d'un mois non renouvelable pour réussir son pari. Inédite et complexe, la situation suscite des appréhensions légitimes, en l'absence d'une Cour constitutionnelle, seule institution en mesure de statuer sur une configuration politique compliquée et sujette à de multiples interprétations, tant la Constitution élaborée et adoptée en 2014 par la Troïka recèle des zones d'ombre et quelques lacunes, à en croire certains constitutionnalistes. Il faut dire qu'en ce temps-là, le scénario auquel est confronté le pays aujourd'hui relevait de l'utopie. Maigre consolation, la loi fondamentale prévoie que, dans tous les cas de figure, le gouvernement «sortant» de Youssef Chahed, chef de file du parti Tahya Tounes, demeurera en charge des affaires courantes jusqu'à la conclusion du vote de confiance par l'ARP à un gouvernement résultant soit de la victoire électorale d'un parti majoritaire à des élections législatives anticipées, soit de l'initiative agréée du président de la République, après le premier rejet d'une liste proposée par un parti non majoritaire, comme ce fut le cas pour Habib Jamli. Dans tous ces cas de figure, le gouvernement Youssef Chahed est et restera en place pour quelques mois encore, si Fakhfakh ne concède pas à Ennahdha l'accès de Qalb Tounes à l'équipe qu'il espère proposer au vote de confiance d'une ARP, unanimement contre lui. Et si tel est le cas, rien ne dit que Qalb Tounes, ulcérée par la tournure des évènements, depuis deux semaines, au moins, acceptera cette volte-face qui a déjà eu lieu avant d'être exclue par le chef de l'Etat et qui a été dénoncée farouchement par Tahya Tounes et le PDL d'Abir Moussi. Bref, les Tunisiens risquent fort de rester sur leur faim à un moment où le FMI commence à taper du poing sur la table...