L'Expression: Quelle lecture faites-vous du projet d'ordonnance portant mise en oeuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale? Farouk Ksentini: J'estime que le texte est très positif. Il correspond parfaitement à l'esprit du projet voté à l'unanimité par le peuple algérien, le 29 septembre 2005. Nous sommes en position de dire, dans ce cas, que la volonté populaire a été respectée et de surcroît concrétisée fidèlement par le président de la République. Un rassemblement a été organisé par les familles de disparus au niveau de l'Observatoire des droits de l'homme pour dénoncer cette loi. Ces dernières crient à l'injustice. Comment jugez- vous leur réaction? Sur ce dossier, je pense que le texte est clair, dans la mesure où il prévoit des mesures extrêmement importantes pour ces familles allant de la reconnaissance de la qualité de victime de la tragédie nationale, jusqu'à l'obtention d'un jugement de décès qui ouvre droit à l'indemnisation. Ces mesures permettront de tourner la page définitivement. Il est important de signaler, à mon sens, que ces mesures correspondent aux grandes lignes développées dans le rapport que nous avons communiqué au président de la République, le 31 mars dernier. Sur ce point, nous exprimons aussi notre satisfaction et notre reconnaissance à l'adresse du chef de l'Etat. Certaines parties estiment que cette loi consacre «l'impunité»... Honnêtement, je ne partage pas cet avis. Cette loi préserve les équilibres. On ne pouvait pas pardonner aux terroristes qui ont pris les armes contre l'Etat et poursuivre les agents de l'Etat, tous corps confondus, qui ont mis leur vie en péril pour défendre la République et restaurer la paix. Le pardon a touché les deux parties. C'est essentiel si l'on veut oeuvrer pour une véritable réconciliation nationale. Le concept d'impunité n'a pas de place dans la conjoncture actuelle. Il y a une situation de crise qu'il faut absolument dépasser. Pour cette raison, j'appelle le peuple algérien à faire une lecture plus approfondie, plus objective du texte d'application afin de saisir les véritables enjeux de cette démarche réconciliatrice. Il est important d'éviter la manipulation et les lectures précipitées. Quelle appréciation faites-vous par rapport au délai de six mois accordé aux terroristes pour se rendre? J'estime que la période est très raisonnable. L'ordonnance prévoit des sanctions à l'encontre de toute personne qui ferait des déclarations, écrits ou autres qui «instrumentalisent la tragédie nationale». Cette mesure ne risquera-t-elle pas de porter atteinte à la liberté d'expression? Absolument pas. Je pense que le législateur a voulu, à travers ce dispositif, éviter les déclarations diffamatoires à l'encontre des institutions de l'Etat qui ont pris part à la lutte contre le terrorisme. Il n'y a aucune intention de la part de l'Etat de restreindre les libertés individuelles. Peut-on affirmer que les portes sont aujourd'hui grandes ouvertes aux dirigeants de l'ex-FIS en exil pour rentrer au pays? Bien sûr, rien n'empêche objectivement les militants du FIS dissous vivant à l'étranger de retourner au pays. Ces derniers ne risquent rien, à condition bien évidemment qu'ils respectent l'interdiction d'activer sur la scène politique. Vous êtes optimistes? Je suis très confiant pour l'avenir du pays. Et je pense qu'à travers cette loi, le pays a fait un pas de géant dans le sens de la paix et la réconciliation.