L'Irak a vécu hier une nouvelle journée sanglante qui remet en cause les efforts de rétablissement de la sécurité dans le pays. Comme pour conjurer le sort, les imams ont consacré la prière du vendredi, qui a eu lieu sous couvre-feu, en appels au calme et à l'unité nationale, au moment où des manifestations pour l'unité étaient organisées à travers le pays. Dans plusieurs mosquées les imams ont appelé les fidèles au calme et à plus de responsabilité, le ton général étant cependant à l'apaisement. Ainsi, à Baaqouba, cheikh Chehab Al-Samarraï (sunnite) avait qualifié de «terroriste» l'attaque «du mausolée ainsi que des lieux de culte sunnites». De son côté, cheikh Hamid Jaddouh, (sunnite) a lancé un appel à la signature « d'un pacte d'honneur entre sunnites et chiites pour protéger les lieux saints musulmans». Il est vrai que la guerre des mosquées vécue par le pays mercredi et jeudi avait gravement menacé cette unité qui reste le ciment de l'Irak en dépit de ses différences confessionnelles et ethniques. De fait, la journée de vendredi a été dans l'ensemble assez calme. Un calme qui a de nouveau volé en éclats hier où des attentats se sont produits dans de nombreuses villes, à l'instar de nouvelles attaques contre des mosquées. Une vingtaine de morts ont été dénombrés hier dans ces différents attentats, dont 12 agriculteurs, sunnites et chiites, tués à Baaqouba de même que cinq autres qui ont succombé à Kerbala dans un attentat à la voiture piégée. Par ailleurs, trois policiers ont été tués hier à Baghdad par des tirs et une attaque à la bombe lors des funérailles de la journaliste irakienne Atwar Bahjat, de la chaîne de télévision Al Arabiya, assassinée mercredi à Samarra. Ces attaques et contre-attaques entre sunnites et chiites font ainsi de plus en plus craindre un affrontement inter-confessionnel en Irak dans le temps où plusieurs mosquées (notamment sunnites) sont attaquées ou incendiées. Dans une tentative de prévenir une reprise des violences, le gouvernement irakien a reconduit hier un couvre-feu total à Baghdad et dans trois provinces parmi les plus touchées par la flambée de violence de ces derniers jours. Ces violences sont directement induites par le dynamitage mercredi du mausolée des imams Ali Al Hadi et Hassan Al Askari à Samarra qui a donné le signal à l'ouverture des hostilités avec comme résultat près de 150 morts et des dizaines de blessés. Hier, une bombe a endommagé le mausolée de l'imam Rida, un monument funéraire chiite à Toz Khormatou, provoquant la colère des chiites turcomans de la région de Kirkouk. Ce n'est sans doute pas encore la guerre civile en Irak, mais la guerre des mosquées, esquissée lors du week-end sanglant, montre combien l'échafaudage politique mis en place par Washington est fragile et menace de s'écrouler à tout instant d'autant plus que les Américains dans leur approche d'une solution à la crise politique et sécuritaire en Irak ont privilégié des communautés irakiennes par rapport à d'autres. Ce qui n'est pas fait, c'est évident, pour restaurer la confiance entre les différentes ethnies et confessions irakiennes. De fait, dans son prêche du vendredi, l'imam de la mosquée de la ville sainte de Najaf, cheikh Sadredine Al-Koubanji s'en est pris nommément à l'ambassadeur américain à Baghdad, Zalmay Khalilzad «Certaines ambassades étrangères font des déclarations irresponsables qui renforcent le terrorisme alors qu'il était en voie d'affaiblissement» a affirmé cheikh Al-Koubanji, membre du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (Csrii), important parti conservateur chiite dirigé par Aziz Al Hakim. L'imam a reproché au diplomate américain «d'être lui-même sectaire et ayant des origines sectaires», faisant allusion à ses origines afghanes et sunnites. Dans une déclaration faite lundi dernier, quarante-huit heures avant les événements de Samarra, M.Khalilzad avait estimé que «le problème fondamental en Irak était un conflit ethnique et communautaire». De fait, dans la situation qui est celle de l'Irak, de telles déclarations sont à la limite provocatrices et jettent de l'huile sur le feu. Aussi, Ibrahim Al-Jaafari, a décidé, pour prévenir le renouvellement de la flambée de violence de mercredi et vendredi, de maintenir le couvre-feu, avec des ouvertures entre 16h et 20h (locales). «Le couvre-feu sera de nouveau en vigueur samedi (hier) jusqu'à 16h00 dans la capitale et les provinces de Salaheddine, Diyala et Babylone», indique le communiqué du chef du gouvernement diffusé par la chaîne gouvernementale de télévision. Dès lors, «afin de protéger les citoyens et leurs biens, il est désormais interdit de circuler en armes et de porter des armes hors des maisons et des commerces sans être muni d'une autorisation spéciale», a déclaré par ailleurs M.Al-Jaafari. Toutefois ces mesures ne semblent pas avoir dissuadé les groupes armés qui ont encore opéré hier dans plusieurs villes ensanglantant le pays pour la troisième journée, après l'accalmie de vendredi.