Le tribunal de Sidi M'hamed près la cour d'Alger qui devait ouvrir le procès du patron du groupe TMC, Mahieddine Tahkout, juste après avoir rendu son verdict concernant le procès de l'homme d'affaires Ali Haddad, n'entamera finalement son audience que lundi prochain. Une décision prise après une journée marathon partagée entre un incident à l'audience qui a provoqué le retrait des avocats et une guerre de procédures après le retour des robes noires. C'est vers midi que les prévenus font leur entrée dans la salle d'audience. Dix-neuf d'une soixantaine mis en cause dans ce dossier sont en détention. Pour la famille Tahkout, il s'agit notamment du principal accusé Mahieddine Tahkout, un de ses frères et son fils. Un autre frère du patron du groupe TMC ainsi que son épouse et sa belle-fille comparaissent librement. Les deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, les ex-ministres de l'Industrie, Abdessalem Bouchouareb (en fuite à l'étranger) et Youcef Yousfi, des Travaux publics, Abdelghani Zalène et Amar Ghoul, et l'ex-wali de Skikda, Benmansour, ainsi que de nombreux cadres dirigeants de l'Onou (Office national des oeuvres universitaires) et de l'Etusa (Entreprise de transport urbain et suburbain d'Alger sont également prévenus dans ce dossier. Toutes ces personnes sont déférées devant le tribunal pour plusieurs chefs d'inculpation, parmi lesquels «blanchiment d'argent», «transfert de biens obtenus par des faits de corruption» ou encore «incitation d'agents publics à exploiter leur influence dans le but de bénéficier d'indus privilèges». Des griefs liés aux avantages octroyés à l'homme d'affaires dans le cadre de l'industrie du montage automobile (CKD-SKD et ANDI). Ahmed Ouyahia à la barre Mais avant l'ouverture du procès, la présence d'un avocat, Me Amara Mohcen, radié du barreau, va créer un grave incident. La présence de ce dernier dans la salle d'audience en robe noire va amener le bâtonnier, Me Sellini, à exiger de la corporation de se retirer jusqu'à ce que «la justice prenne ses responsabilités». Un échange virulent entre Me Amara et le bâtonnier va suivre. Me Amara connu pour avoir déjà été à l'origine de plusieurs incidents du genre, ne va pas se gêner pour critiquer le bâtonnier et ses confrères allant jusqu'à dire aux prévenus «ce sont des chasseurs de prime!». à l'entrée du juge, seul l'avocat radié est présent. Le magistrat qui venait de recevoir une délégation des avocats conduite par le bâtonnier, demande à Me Amara de quitter la salle s'il n'est pas constitué dans ce dossier, mais ce dernier demande au juge de prendre acte de son renvoi. Après plus d'une heure de tapage et d'échanges d'accusations, l'avocat radié va quitter la salle, mais c'est loin d'être suffisant pour le bâtonnier qui exige que la loi soit appliquée affirmant que Amara Mohcen a commis un délit en portant la robe d'avocat. «Il faut respecter le métier. Cela fait plus de 10 ans que cet homme se comporte comme le maître des lieux dans les tribunaux, ça suffit! Lorsqu'un repris de justice nous insulte et porte la robe en pleine audience, il doit être emprisonné pour ce délit, sinon la défense se retire» insiste Me Sellini avant de quitter la salle d'audience, en compagnie de l'ensemble de la défense. Le magistrat qui fait remarquer que l'incident est clos avec le retrait de Me Amara, commence à faire l'appel uniquement des prévenus et témoins cités dans l'affaire- instruite par le tribunal de Sidi M'hamed. Car, dans le box des accusés, faut-il le préciser, les mis en cause n'ont pas fait l'objet de la même instruction. Comme le prévoit la loi, l'instruction pour les hauts cadres de l'Etat, à savoir les ex-Premiers ministres, les anciens ministres et ex-walis se fait au niveau de la Cour suprême, alors que pour les autres prévenus, le dossier a été instruit au niveau du tribunal de Sidi M'hamed. Il s'agit donc de deux affaires pour un même dossier. Raison pour laquelle, en prenant la parole, le procureur de la République a demandé la jonction des deux affaires. En l'absence de leur défense, le juge demande aux prévenus s'ils n'avaient pas d'objection avant de lever la séance pour délibérer. Vers 14h, le magistrat revient pour annoncer sa décision de jumeler les deux affaires. Les avocats sont toujours absents, mais cela ne semble pas contrarier le magistrat qui ne s'encombrera d'ailleurs pas de faire l'appel des hauts cadres et invite, tout de go, Ahmed Ouyahia à la barre et commence son audition. «Le tribunal veut vous entendre sur deux points seulement: la résolution que vous avez signée pour le montage automobile et la liste des 5+5 concernant les opérateurs choisis», dit le magistrat avant d'enchaîner «vous pouvez également nous éclairer sur le mouvement de votre compte qui contient les 30 milliards de centimes». A l'aise, comme à son accoutumée, l'ex- Premier ministre prend la parole. Il commence par rappeler au juge qu'il a déjà été condamné pour les mêmes faits dans le premier procès du montage automobile, tenu en mars dernier et dans le procès Sovac, il y a une dizaine de jours. «Concernant le mouvement de mon compte bancaire, sachez monsieur le juge que ce n'est pas après 45 ans de service au sein de l'Etat que je vais ouvrir un compte dans une banque publique pour y dissimuler de l'argent sale!» dit placidement Ahmed Ouyahia. Le juge revient à la charge et demande «et la liste des 5+5?». L'ex-Premier ministre prend le temps de revenir sur le voeu de l'Algérie de se lancer dans la fabrication de l'automobile depuis les années 80. «Le projet Fatia, l'idée à germé en 1988. L'Algérie avait prévu de se lancer dans l'aventure avec les Italiens mais ce n'est qu'en 1996 que le projet a été finalisé. à ce moment, il y avait le terrorisme. Le projet est tombé à l'eau et l'Algérie a continué d'importer des véhicules. Avec la chute du prix du pétrole et une facture dépassant les 600 milliards de centimes d'importation de véhicules, l'Etat a pensé au montage de véhicule». Pour le choix des 5 opérateurs qui allaient assurer le montage automobile en Algérie, Ahmed Ouyahia fera savoir que l'ex-ministre de l'Industrie, Youcef Yousfi lui avait fait parvenir, fin 2017, une liste de 89 opérateurs, tous types confondus «il fallait faire un choix. Nous avons alors choisi 5 pour le montage des véhicules lourds et 5 autres pour les légers. Beaucoup ont protesté et la Présidence a demandé à ce qu'on essaye de trouver un compromis. Dans la nouvelle liste qui nous a été transmise d'une quarantaine d'opérateurs, deux noms ont été rajoutés: Arbaoui et un autre. Et avec ça, nous étions déjà à 5 milliards DA d'importations par an pour les kits SKD et CKD. Nous ne pouvions élargir plus». L'acte d'inculpation contient plus de 1065 pages Et alors qu'Ahmed Ouyahia était lancé dans son exposé pour expliquer au juge les raisons qui l'ont mené à prendre certaines décisions, une nuée de robes noires fait son entrée dans la salle. Les avocats interrompent l'audition et exigent l'arrêt de l'audience en raison de l'absence de conditions pour la tenue d'un procès équitable. Ces derniers rappellent au juge qu'ils n'ont pas reçu l'arrêt de renvoi de l'affaire instruite devant le tribunal de Sidi M'hamed programmée depuis à peine 48 heures. En fait, ce n'est que lundi dernier que l'ordonnance de renvoi du tribunal de Sidi M'hamed, a été remise à certains avocats, alors que celle de la Cour suprême était prête depuis deux mois. L'acte d'inculpation contient plus de 1065 pages et la défense des prévenus poursuivis par le tribunal de Sidi M'hamed a, tout naturellement, exigé un délai pour l'étude du contenu. Ce que le magistrat va refuser dans un premier temps proposant aux avocats de poursuivre les auditions des prévenus de la Cour suprême et de n'entamer celles des prévenus de Sidi M'hamed que lundi prochain, ce qui leur laissera largement le temps de prendre connaissance du dossier. Grande confusion. Les avocats haussent le ton et refusent de céder à la pression du magistrat «cela fait une année qu'on attend ce procès et on nous refuse le droit d'un délai pour examiner le dossier. Ce n'est pas juste». Le juge va considérablement insisté pour la poursuite du procès «il faut respecter la décision du tribunal qui a refusé le report». Mais c'est peine perdue. Même l'intervention du procureur de la République qui va rappeler aux avocats qu'à l'entame du procès, ils étaient absents et que les absents ont toujours tort, ne convainc pas la défense. Le juge se voit dans l'obligation de lever la séance pour entrer dans une longue négociation avec les avocats à l'issue de laquelle il annonce le report au lundi prochain.