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Un ancien détenu de la Fédération de France témoigne
62e anniversaire de la proclamation du Gpra
Publié dans L'Expression le 19 - 09 - 2020

Je me présente: Ghafir Mohamed, dit Mohamed Clichy, alors âgé de 24 ans en 1958, ancien militant et responsable au sein de la Fédération de France du FLN. chargé de la Banlieue Nord de Paris y compris le 17e arrondissement. Arrêté le mercredi 8 janvier1958 par la DST, rue des Saussaies, (les journaux de l'époque ont largement relaté mon arrestation). Lors de la création du Gpra, je me trouvais à la prison de Fresnes (écrou-26216- cellule182), la plus grande prison de France où se trouvait la majorité des cadres de l'organisation F.L.N, y compris les «Cinq» victimes du premier piratage aérien de l'histoire moderne. La deuxième division de cet établissement carcéral était réservée aux détenus FLN au nombre de 1 500. Les détenus MNA et les droits communs étaient cantonnés dans la première division. J'ai été membre du comité de détention, chargé de la commission socioculturelle, parmi d'autres militants, les frères Bachir Boumaza, Kebaïli Moussadit Derradji, Hadj-Ali Ahmed, Benaïssa Mohamed, Mustapha Francis et Belhadj Abdelkader, chacun étant responsable d'une commission, droits politiques obtenus après plusieurs grèves de la faim. Les «Cinq» ont été nommés ministres du Gpra dès sa proclamation. Il s'agit des frères Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Rabah Bitat lesquels se trouvaient à l'infirmerie de l'hôpital central de Fresnes. Ils ont donné des consignes au comité de détention de la deuxième division, par l'intermédiaire des avocats du collectif du FLN, Mourad Oussedik et Abdesmad Benabdallah. Ces derniers ont instruit les responsables devant comparaître face à la juridiction française, de faire une déclaration politique, contestant la justice française: «Le peuple algérien a son gouvernement depuis le19 septembre, seul capable de lui administrer sa justice». Le hasarda voulu qu'au sein de la prison de Fresnes, je devais comparaître le8 octobre 1958 devant la 10echambre d'appel, ayant été condamné à deux ans de prison ferme le 30 juillet 1958 par la 16echambre correctionnelle de la Seine.
Détenu à Fresnes à 24 ans
Les détenus devaient faire devant le tribunal français une déclaration lors de leur comparution devant les juges. Le texte a été rédigé conjointement par les 5ministres du Gpra emprisonnés à Fresnes, le comité de détention et le collectif des avocats, texte que j'ai appris par coeur du fait qu'il est interdit aux détenus de prendre aucun papier sur eux lors de leur comparution devant le tribunal. Le frère Oussedik m'avait fait des répétitions dans le parloir de la prison tout en me donnant déconsignes sur l'attitude à prendre dans le box des accusés face au tribunal. Notre procès coïncidait avec un évènement important qui allait constituer un nouveau tournant de la Révolution algérienne, après le Congrès de la Soummam du 20 Août 1956: la proclamation solennelle du Gouvernement provisoire de la République algérienne, le 19 septembre 1958.
Le jour J, dans le box des accusés, en compagnie d'autres détenus, le président du tribunal a appelé mon nom et prénom en me disant: «Inculpé, levez-vous!» Après la lecture d'usage de mon inculpation et les motifs des délits pour lesquels j'étais poursuivi: atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat(Asee), il m'a posé la question:«Avez-vous quelque chose à dire?». Je me suis levé en me mettant dans la position digne d'un djoundi et fixant droit dans les yeux le président, j'ai récité ma leçon calmement et posément, en martelant quelques mots, suivant les consignes reçues. De temps en temps je jetais un coup d'oeil sur Mourad Oussedik qui me fixait de son regard à travers ses grosses lunettes en me faisant des signes d'encouragement avec ses sourcils et les traits de son front. Le président m'a donné ordre de m'arrêterait ordonné à la police de méfaire sortir du box. Maître Oussedik s'est levé en demandant au président, «Laissez mon client terminer ce qu'il doit dire répondant votre question». J'ai continuera déclaration jusqu'à la fin, malgré la bousculade du policier derrière moi. Cette déclaration, je l'ai faite devant le tribunal à l'âge de 24 ans. Je la dédie à notre jeunesse pour qu'elle prenne conscience des sacrifices consentis partout le peuple algérien pour que vive l'Algérie libre et indépendante. J'ai voulu témoigner, à l'occasion du 50e anniversaire de la proclamation du Gpra, en faisant partager les souvenirs que je garde encore de ces moments particuliers qui me marquèrent à jamais. Je le répète après 128 ans d'occupation coloniale, l'Etat algérien renaissait et la guerre délibération connaissait des développements positifs comme le relevait le titre du journal El Moudjahid du 19 septembre 1958qui a tiré à 22h00, un numéro spécial, correspondant au 1416e jour de la Révolution,«¨Premier jour de la République algérienne» titrait
El Moudjahid, le journal de l'Algérie combattante. Au moment où la France jugeait les militants de la cause algérienne, la Révolution nationale entamait une marche irréversible vers la libération. Dans plusieurs prisons françaises, comme je l'ai appris par la suite, d'autres détenus algériens récitaient la déclaration que j'avais faite moi-même devant mes juges. Je ne connais pas les noms ni le contenu des déclarations alors faites, mais les membres du comité fédéral encore vivants, les frères Boudaoud Omar, Ali Haroun et Bouaziz Rabah peuvent témoigner et donner des informations se référant aux archives de l'époque.
Le GPRA est immédiatement reconnu par 14 Etats
Je voudrais profiter de cet anniversaire historique pour le peuple algérien, pour donner quelques informations, repères qui serviront à l'Histoire et édifieront la jeunesse surtout. En l'espace de dix jours, entre la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne le 19 septembre et la fin de ce mois, le Gpra a été officiellement reconnu par quatorze (14) Etats lesquels totalisent 800 millions d'habitants. Parmi ces 14 Etats, six (6) ont reconnu le Gouvernement provisoire algérien le jour même (19 septembre): Cinq minutes après la proclamation du Gpra c'est la République arabe unie (RAU,Egypte-Syrie) qui le reconnaît à13h05. Ensuite et dans l'ordre, cela a été le Pakistan à 13h07, le Royaume de Libye à 13h09, la République irakienne à 13h10, le Yémen à 18h00 et la Tunisie à21h30. Ceci pour servir de témoignage au titre de l'Histoire. Le président Ferhat Abbas, dans sa première déclaration du26 septembre, fort du soutien de la Communauté internationale et de la justesse de la cause algérienne, fera des offres de rencontre à la France indiquant: «Le GPRA est prêt à rencontrer le gouvernement français pour déterminer les conditions d'un cessez-le-feu».
Le général De Gaulle, bien qu'il ait négocié les Accords d'Evian avec le Gpra, n'a jamais voulu reconnaître officiellement ce dernier. Il prenait soin de s'adresser à l'exécutif provisoire qui avait été désigné d'un commun accord entre le Gpra et le gouvernement français. Pour rappel, c'est dans la logique du prolongement du combat libérateur qu'un deuxième front armé a été engagé sur le territoire de la France par la Fédération de France du FLN, le25 août 1958 à 00h00, cela, dans l'esprit des recommandations du premier Comité de coordination et d'exécution (CCE) issu du Congrès de la Soummam du 20Août 1956, décision confirmée parle deuxième CCE du mois d'août1957 à partir du Caire. Ouvrir un front armé sur le territoire français émanait des deux autorités dirigeantes de la Révolution algérienne. Quatre ans après le déclenchement du premier front, le 1er Novembre 1954 à 00h00, 25jours après l'ouverture du deuxième front armé qui allait embrasera France, le Gouvernement provisoire de la République algérienne est proclamé au Caire le 19Septembre 1958 à 13h00, heure algérienne. L'histoire a repris sa marche, la renaissance de l'Etat algérien eut lieu après 128 ans décolonisation - le 5 juillet 1830 -avec son cortège de sang et de larmes. Il s'agissait d'un événement d'une grande importance historique pour le peuple algérien et le devoir de mémoire nous interpelle pour transmettre à notre jeunesse ces repères pour les faire connaître et commémorer. Toujours est-il que le deuxième front armé engagé par l'émigration sous l'égide dauferont de libération nationale sur le territoire français, le 25 août1958 a apporté ses fruits en contraignant le gouvernement français, à sa tête le général de Gaulle, de revoir son appréciation quant à la détermination du peuple algérien à arracher son indépendance totale quel que soit le sacrifice à consentir encore, alors que la guerre bouclait sa quatrième année. Il faut rappeler aussi à notre jeunesse, la déclaration, qui est d'une grande portée historique, du héros de la bataille de DienBien Phû (Vietnam), le général Giap qui a chassé la France coloniale de l'Indochine. Faisant référence à la lutte armée du FLN en France, qui s'est développée avec l'ouverture d'un second front en territoire français, le général Giapa affirmé: «C'est la première fois dans l'histoire des luttes des peuples pour leur indépendance que le colonisé porte la guerre sur le sol du colonisateur. Le colonialisme, ce mauvais élève qui n'apprend pas ses leçons». Déclaration exemplaire dont l'histoire en a fait une référence dans la lutte des peuples pour leur liberté. Pour ma part, simple moudjahid, je viens apporter un témoignage vivant et inédit pour enrichir l'écriture de l'histoire de notre révolution à l'occasion du 50e anniversaire de la proclamation du Gpra. Pour terminer, je forme un voeu et un souhait patriotique pour la mémoire de nos chouhada, une pensée peut-être partagée partout les moudjahidine et le peuple algérien. Faire du 25 août 1958(deuxième front armé engagé en France) et du 19 septembre 1958(renaissance de l'Etat algérien)des journées nationales. Nous souhaitons que l'ONM propose aux pouvoirs publics d'instituer ces deux dates comme moments clés dans la marche de l'Algérie vers sa souveraineté. Il s'agit d'un avis personnel étant donné leur importance historique durant la lutte de Libération nationale. Attitre de rappel, pour la jeunesse toujours, le nationalisme algérien a germé en France, avec la création de l'Etoile nord- africaine(ENA) le 20 juin 1926 dans la commune de Nanterre à Paris, qui fut dissoute le 25 janvier 1937 parle gouvernement du Front populaire sous Léon Blum, président du conseil (Sfio). 45 jours après la dissolution de l'ENA, les mêmes militants et responsables ont créé le Parti du peuple algérien (P.P.A)toujours à Paris (Nanterre) le 11mars 1937, lequel parti a été, à son tour, dissous le 26 septembre1939. L'émigration a joué un rôle important avant 1954 et durant la lutte de Libération nationale de1954-1962. L'histoire authentiquée doit pas être occultée ni falsifiée, chaque moudjahid est responsable envers Dieu, les chouhada et le peuple.
Gloire à nos chouhada.!
Déclaration faite devant le tribunal de la Seine, le 8 octobre 1958
Monsieur le président, Nous sommes des Algériens, à ce titre, nous n'avons fait que notre devoir au service de la révolution de notre peuple. Nous nous considérons comme des soldats qui se battent et savent mourir pour leur idéal. Ainsi, nous faisons partie intégrante de l'Armée de Libération nationale. Nous avons des chefs à qui nous devons obéissance. Nous avons un gouvernement, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A), que nous reconnaissons seul capable de nous administrer sa justice. Nous déclinons ainsi la compétence des tribunaux français. Quel que soit votre verdict, nous demeurons convaincus que notre cause triomphera, parce qu'elle est juste et parce qu'elle répond aux impératifs de l'histoire. Face à ce tribunal, à la mémoire des martyrs algériens morts pour la libération de leur patrie, nous observons une minute de recueillement. Garde- à-vous! Vive l'Algérie libre et indépendante! Vive le Front de Libération nationale et son A.L.N!


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