Ils étaient quelque 20.000 personnes à avoir été mises à la porte entre juin 1991 et décembre 1992. Si dans une perspective de réconciliation, les autorités estiment rendre justice aux travailleurs licenciés au lendemain des turbulences islamistes et de tout ce qui a suivi, en les réintégrant dans leurs postes de travail ou en les dédommageant, c'est qu'il y avait à l'origine des injustices commises. Et même si le contexte était plutôt favorable à une confrontation directe avec les islamistes, avec tout ce que cela peut induire de «dégâts collatéraux », les donnes ont changé aujourd'hui. Le Conseil des ministres a adopté récemment un décret exécutif fixant les conditions d'éligibilité à la réintégration ou l'indemnisation des personnes ayant fait l'objet de mesures administratives de licenciement pour des faits liés à la tragédie nationale. Peu avertis des modalités d'indemnisation ou de réintégration, des milliers de travailleurs attendent d'en savoir plus. Des commissariats de police d'Alger ont reçu plusieurs de ces travailleurs, anciens détenus ou non, et les ont orientés vers les services spécialisés établis au niveau de chaque commune. Selon les textes de loi publiés récemment, l'éligibilité aux mesures énoncées découle de la réunion des conditions suivantes par le demandeur: une attestation d'emploi antérieure, la présence du nom du demandeur sur une liste d'assurés sociaux pendant la période d'emploi, ainsi qu'une décision de licenciement motivée en relation avec la tragédie nationale. Or là, aucune entreprise n'a encore remis une attestation qui précise que le licenciement était lié à une activité politique, à une adhésion au Syndicat islamique du travail (SIT-dissous) ou à la grève générale de mai-juin 1991. Plusieurs milliers d'autres islamistes ont été placés en détention dans les centres d'internement au Sud (Reggane, Ain M'guel, Oued Namous, Tam,etc) et avaient perdu de fait, après plusieurs mois, voire plusieurs années de détention, leur poste de travail. Cette catégorie de gens n'a été ni réintégrée, ni indemnisée, ni même reconnue dans le cadre des nouveaux textes de loi. Des personnalités politiques, des militants des droits de l'homme, Farouk Ksentini lui-même, ont pris sur eux d'en tenir informé le président de la République. Les textes de loi exigent, en outre, que le nom du demandeur doit figurer sur une liste des personnes impliquées dans la tragédie nationale, à titre d'interné administratif, ou de poursuivi, détenu ou condamné pour des faits liés à la tragédie nationale, ou de bénéficiaire des mesures édictées par la loi sur la concorde civile, ou enfin de bénéficiaire des mesures édictées par l'ordonnance portant mise en oeuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Or là aussi, des bénéficiaires font état de manque de clarté sur le sujet, chaque bureau de recensement leur exigeant une copie d'une attestation d'internement, alors que toutes ces pièces se trouvent être entre les mains des autorités judiciaires. La réintégration, après examen du dossier et audition du représentant de l'employeur, est prononcée «sans rappel de salaire, dans le poste de travail antérieur ou à un poste équivalent dans l'administration d'origine ou dans une autre administration», précisent les textes. Or il convient de constater que de pareils textes portant réintégration des travailleurs licenciés dans le cadre des poursuites de 1991 et 1992 ont été publiés, mais les entreprises ne les avaient jamais appliqués. Les rares entreprises publiques ou privées qui l'avaient fait, avaient agi par conscience, par humanisme ou par esprit d'initiative de la part des employeurs. Les nouveaux textes stipulent aussi que lorsque la réintégration n'est pas possible, notamment pour motifs d'âge, de santé du requérant, ou de disparition de l'organisme qui l'employait, ainsi que pour motifs administratifs ou économiques, le requérant est alors éligible à une indemnisation variant entre 3 et 18 mois de salaires, en rapport avec les annuités de travail effectuées. Le dispositif prévoit également le rachat des années de retraite des travailleurs réintégrés ainsi que le versement des personnes qui seront indemnisées à la Caisse nationale d'assurance chômage. Prévoyant les embûches qui seront posées çà et là, le président Bouteflika a réaffirmé que la réconciliation nationale «sera menée dans le respect de la lettre et de l'esprit» de la Charte, et dans la ferme application de la Constitution et des lois de la République. Le décret présidentiel précise que, hormis les futurs salaires des personnes réintégrées qui seront à la charge de l'employeur, l'ensemble des dépenses découlant de la mise en oeuvre de ses dispositions, seront à la charge du budget de l'Etat, à travers le Fonds de solidarité nationale, et que la mise en place des commissions chargées de leur application au niveau des wilayas tout comme la commission nationale de suivi de ce dossier doivent être opérationnelles immédiatement. Bouteflika a mis tout son monde dessus: le gouvernement, les instances judiciaires et les administrations concernées. Tous, sans exception, ont à charge de tendre à une application diligente et précise de l'ensemble des mesures décidées par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. C'est donc face à un travail minutieux et précis que les commissions commencent à recenser chaque jour, et rapidement, tous les travailleurs victimes d'injustice, mais aussi à débusquer tous ceux qui pensent y trouver leur Eldorado. Faire échec aux fausses victimes est aussi un travail de longue haleine, et c'est pour cela que les membres des commissions se sont donnés jusqu'à six mois pour finaliser l'épineux dossier.