Hier, la présidentielle américaine a mobilisé 150 millions d'électeurs dont plus de la moitié s'étaient déjà exprimés par correspondance, les retardataires disposant du droit de suffrage jusqu'au jour du scrutin. Quatre ans plus tôt, ils étaient 139 millions dont 33 par correspondance à accomplir leur devoir électoral. C'est donc plus du double qui, cette fois, ont confié leur bulletin à la Poste, pandémie du nouveau coronavirus oblige. Ces votes par correspondance devraient, à en croire les sondages, profiter largement au candidat démocrate Joe Biden. Mais ils portent en eux les raisons de la discorde car le dépouillement mettra des jours et des jours avant que ne soit connu le verdict final, contrairement aux résultats des urnes qui, eux, pourraient tomber aujourd'hui-même. Cette situation inédite a conduit le candidat républicain, Donald Trump, à claironner qu'il ne tiendra compte que du décompte réel, ayant largement critiqué le vote par correspondance en le qualifiant de support idéal à la tricherie. Des critiques contestées à la fois par le camp rival et par la justice américaine qui affirme qu'aucune preuve de cette accusation n'a été observée jusqu'ici. Covid oblige, les votes par correspondance ont été dix fois plus nombreux qu'en 2016 et il est impossible que leur dépouillement soit achevé aujourd'hui, surtout qu'une loi l'interdit avant le jour de l'élection. Mais tous les sondages sont unanimes pour dire que 70% de ces votes sont favorables au candidat démocrate, de sorte que si Trump arrive en tête dans la soirée, grâce au scrutin direct, son avance ne tiendra pas face au résultat final du vote par correspondance. Conscient de l'enjeu, Joe Biden, épaulé par Barack Obama, a mis les bouchées doubles, durant les derniers jours, pour tenter de convaincre les indécis, comme ceux de la sidérurgie sinistrée de Pistburgh. Les deux hommes ont également misé fortement sur le soutien afro-américain, éprouvé par les récentes bavures policières, la toute dernière ayant entraîné des émeutes et un couvre-feu. En visite à Kenosha, une ville du Wisconsin, théâtre d'émeutes en marge de protestations antiracistes qu'il a qualifiées de «terrorisme intérieur», le président sortant a renouvelé son soutien aux forces de l'ordre, sans jamais mentionner le nom de Jacob Blake, un Américain noir touché par sept balles dans le dos. Il faut dire que la configuration peu banale de ce scrutin a mis en rage Donald Trump qui a menacé, dimanche soir: «Je me déclarerai vainqueur, mardi soir, simplement s'il me semble que je suis en tête» dans le décompte des urnes. Il n'est pas question d'attendre qu'un gouverneur politicien et partisan (le démocrate Tom Wolf) soit autorisé à ajouter 10000 voix de plus, si cela l'arrange!» Signe que la victoire de Biden ou, mauvaise surprise, celle de Trump ne sera pas effective avant plusieurs jours, d'une part, et que d'autre part, le candidat républicain ne veut à aucun prix baisser la garde, déterminé à la fois à saisir les tribunaux et, pire, à jeter ses forces dans les rues. En témoigne son ultime soirée «électorale» à la Maison-Blanche qu'il a privatisée au profit de ses 300 invités, tous proches parmi les proches. Aussi, la peur des milices armées pro-Trump pousse-t-elle des milliers d'Américains à anticiper le drame tandis que les grands magasins ont pris leurs précautions, avec des barricades qui en disent long sur les vieux démons qui hantent l'Amérique.