Moscou entend elle aussi faire son «marketing militaire» dans la région du Maghreb. Avec ses 3500 tonnes et ses 135 mètres de longueur, le Kaliningrad, énorme bâtiment de guerre russe, qui sert de transport de commandos et de matériels de guerre de toutes sortes, a fait une entrée remarquée dans le port d'Alger. Arrivé dans la foulée de la visite faite par Vladimir Poutine à Bouteflika, et de l'exceptionnel contrat d'armement signé entre l'Algérie et la Russie, l'apparition de ce mastodonte des mers a fait l'effet d'une «reconquista» russe après une absence de la région du Maghreb de près d'une vingtaine d'années. Visite stratégique à plus d'un titre, elle est d'autant plus importante avec l'annonce faite, jeudi, par le commandant- adjoint de la formation des forces de surface de la flotte baltique russe, le capitaine de vaisseau Aliochine Evgueni, de prochains exercices conjoints entre les forces navales algériennes et russes. «Des exercices conjoints entre les forces navales algériennes et russes sont prévus pour un très proche avenir», a-t-il annoncé. Le capitaine Evgueni a largement expliqué, lors d'une conférence de presse tenue à bord du bâtiment de débarquement russe Kaliningrad, en escale à Alger pour cinq jours, que «le but principal de cette escale est de resserrer les liens d'amitié traditionnels entre les marines des deux pays et d'organiser, dans un très proche avenir, des exercices conjoints». Expliquant en outre que cette escale à Alger est la première du genre depuis la chute de l'Union soviétique, il a précisé qu'elle vise également «l'échange de points de vue et d'expériences dans le domaine militaire et l'instauration de liens personnels entre les commandements des deux forces navales». L'escale russe s'inscrit dans le cadre d'une croisière qui concernera les ports de Bizerte (Tunisie), de Carthagène (Espagne) et de Lisbonne (Portugal). Le capitaine de vaisseau Evgueni a tracé un plan général de l'organisation des forces navales russes, et a précisé, dévoilant ce qui passait pour être un secret défense au temps de l'Union soviétique, que la flotte de guerre de la Russie se compose de forces d'action sous-marines, de forces de surface et de forces de défense côtières. Ces forces sont scindées en flottes du Nord, de la mer Noire, du Pacifique, de la mer Baltique et de la mer Caspienne. Les forces de surface se composent notamment d'unités nucléaires, de croiseurs et de frégates, alors que les forces sous-marines renferment des sous-marins polyvalents, des sous-marins nucléaires et des sous-marins à missiles balistiques. Les forces de défense côtières sont représentées par des unités de fusiliers marins et de aéronavale. De son côté, le commandant du Kaliningrad, le capitaine de corvette Sergueï Stoupnikov, a expliqué que son navire a pris part à plusieurs manoeuvres internationales, notamment les exercices «Balteks» en 2003, en 2004 et en 2005 dans des manoeuvres conjointes avec les forces navales américaines. Donnant des détails sur son bâtiment, le Kaliningrad, il a poursuivi qu'il s'agit d'un bâtiment de 2e classe construit en 1984 en République de Pologne qui sert notamment au transport de matériels militaires et de chars, ainsi qu'au débarquement de groupes de commandos sur des côtes aménagées et non aménagées. Le bâtiment pèse 3500 tonnes, d'une longueur de 113 mètres et d'une largeur de 16 mètres, a une navigabilité illimitée dans toutes les conditions en mer et en océan. Il est doté, selon son commandant, de moyens de navigation modernes qui permettent de définir sa position avec une haute précision. Le navire russe comprend un complexe d'armement non guidé d'une portée de tir de 12 km, deux installations d'artillerie assurant la mission de l'autodéfense du bâtiment permettant la destruction des cibles aériennes et de surface, un complexe de liaison et de communication permettant la liaison avec n'importe quel point du monde. Il compte aussi deux installations énergétiques, deux hélices, trois générateurs diesel et trois équipements auxiliaires. L'équipage du Kaliningrad est de 80 éléments dont 9 officiers, une compagnie de fusiliers marins et un groupe de stagiaires marins. Considérée comme la «première du genre» cette visite entre dans le cadre de «la coopération militaire bilatérale et du renforcement des relations entre les forces navales des deux pays», selon ses initiateurs. Son intérêt réside dans le fait qu'elle est programmée au lendemain de la percée russe en Algérie, et qui est traduite par un nouveau positionnement de Moscou dans la région du Maghreb, devenue soudainement pour les Etats-Unis comme pour la Russie un nouvel enjeu sécuritaire majeur. Le président russe Vladimir Poutine avait effectué, il y a un mois, une visite d'Etat à Alger au cours de laquelle avait été annoncée l'annulation de l'ensemble de la dette algérienne envers ce pays, estimée à 4,7 milliards de dollars, en échange de l'achat d'un important armement russe, dont des avions de combat. La visite de Poutine avait permis à la Russie de raffermir sa présence dans une région où elle disposait de certains acquis issus de la guerre froide. Le président russe s'est également assuré le soutien d'un pays qu'il juge très influent au Maghreb sur des questions sensibles telles que la visite de la délégation du Hamas à Moscou et la position de la Russie dans le dossier nucléaire iranien. «Les positions de la Russie et de l'Algérie envers les principaux problèmes internationaux et régionaux sont très proches, quand elles ne coïncident pas», avait alors souligné le représentant du Kremlin. L'abstention au vote prévoyant le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l'ONU a été la position officielle d'Alger sur la question. Les deux parties procèdent donc aujourd'hui «au renouvellement du cadre juridique qui régit les relations russo-algériennes dans différents domaines». Le représentant du Kremlin a tenu à préciser que la nouvelle déclaration de partenariat stratégique entre l'Algérie et la Russie n'était dirigée «contre aucun Etat ou groupe d'Etats tiers», et qu'elle ne visait pas à «créer une alliance politico-militaire». Cependant, la relance d'un partenariat entre les deux pays peut apparaître comme une diminution de l'influence américaine dans ce pays. L'intérêt avec lequel Washington suit l'évolution des relations algéro- russes en dit long sur les enjeux stratégiques qui sous-tendent la guerre d'influence russo-américaine dans la région maghrébine.