L'enjeu sécuritaire suscité par le Maghreb et le déclin de l'influence française dans la région alimentent l'appétit de Washington. Le vice-président américain Dick Cheney sera vraisemblablement à Alger avant la fin du mois de mai prochain, affirme une source proche des milieux diplomatiques. Commentant l'information, le journal électronique Moheet estime que Cheney vient «en éclaireur» pour compléter un travail qu'il avait élaboré lui-même et qui propose de diversifier les sources d'approvisionnement américaines en énergie en s'appuyant sur les ressources existantes en Afrique du Nord. Si la visite se confirme officiellement, elle consacrera l'hégémonie américaine dans la région du Maghreb comme une nouvelle donne géostratégique au détriment de la France, qui semble perdre jour après jour de son influence dans la région, et qui date de plus de cent ans. Les visites successives d'officiels américains, tant politiques que militaires, annoncent peut-être une mainmise de Washington sur une région qui a toujours été proche de l'Europe, voire sa chasse gardée. Le rapprochement américain, qui a commencé au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, a connu des progrès rapides : l'Algérie désirant un retour vers la communauté internationale d'où elle semblait être bannie depuis une douzaine d'années, et les Etats-Unis voulant mettre sous la loupe une région qu'ils jugeaient désormais «stratégique». La France ou les Etats-Unis? Alger, avec brio, a su attiser la compétition entre Paris et Washington, mais semble avoir résolu l'équation par les chiffres. «Face aux Etats-Unis, la France n'a pas le même poids», a déclaré, jeudi dernier, Mohamed Bedjaoui au Council on Foreign Relations, lors de sa visite à Washington où il a rencontré son homologue américaine Condoleezza Rice et John Negroponte, directeur national du renseignement américain. Toutefois, la visite de Cheney peut jeter de gros et épais nuages de doutes. Le journaliste américain John Nichols en dresse un tableau obscur. Richard Bruce Cheney est-il l'homme de l'ombre à la Maison-Blanche? Celui qui tire les ficelles de l'administration Bush? Tel est le fil conducteur du portrait que le journaliste John Nichols trace du vice-président. Le portrait se détache à la façon d'un tableau de la Renaissance, sur fond d'un paysage social illustrant la soif de pouvoir de ce fils d'un fonctionnaire du ministère de l'Agriculture. Prêt à toutes les tâches ingrates (plomberie de la Maison-Blanche comprise) pour s'introduire là où l'on peut accéder aux postes de direction. Il n'est pas passé par une université de l'élite comme Bush, Kerry ou Clinton. De la fonction de secrétaire d'un parlementaire, au poste d'assistant de Ronald Rumsfeld en 1961, il accède au bureau de prospective économique, site de choix pour tisser un réseau dans les milieux d'affaires. Depuis trente-quatre ans, les deux hommes travaillent à la mise en place d'une politique ultra-conservatrice, qui aboutira en 1998 au «Projet pour un nouveau siècle américain» (Pnac), véritable manifeste de l'hégémonie américaine, annonçant l'intervention contre l'Irak bien avant le 11 septembre 2001. Dick Cheney participera aux «coups tordus» contre les sandinistes, élus démocratiquement au Nicaragua. Il couvrira de son mieux les hommes de l'Irangate (le scandale qui permit de payer et d'armer les mercenaires au Nicaragua en vendant des armes à l'Iran). Nommé par Bush père au département de la Défense, il se chargera de l'invasion du Panama, pour reprendre en main le dictateur, vieil agent de la CIA, devenu incontrôlable. Six mois après, c'est l'agression contre Grenade. Par la suite, élu au Sénat, il s'illustrera par ses votes contre les sanctions au régime de l'apartheid et contre la libération de Nelson Mandela, «un terroriste». Nanti d'un carnet d'adresses fourni, de 1995 à 2000, il dirigera un groupe de services dans l'énergie et le bâtiment: Halliburton, qui s'était vu confier une partie de la logistique de l'armée pendant que Cheney était à la Défense. Le groupe sera chargé de la logistique des troupes américaines en Irak, après le retour à la Maison-Blanche de son ex-dirigeant. L'homme d'affaires a vendu ses actions, mais touche encore un salaire différé d'une entreprise bénéficiant de centaines de millions de dollars de crédits publics destinés à financer l'occupation et la reconstruction de l'Irak. Cheney ne manquera pas d'accuser à chaque discours Saddam Hussein de détenir des armes de destruction massive. C'est dire que Cheney, lorsqu'il foulera le sol algérien, ne viendra pas en villégiature comme un enfant de choeur.