Nouvelle inquiétude pour les Irakiens, l'existence d'escadrons de la mort dont le ministre de l'Intérieur a admis la réalité. Sur fond de vide politique, et de vacance de pouvoir, la situation sécuritaire n'a cessé de se détériorer en Irak au moment où les blocs politiques n'arrivent toujours pas à s'entendre sur le nom du futur chef du gouvernement ni même sur un minimum de consensus afin de sortir le pays de l'immobilisme actuel. Au plan sécuritaire, outre les affrontements confessionnels qui deviennent chaque jour un peu plus préoccupants, les attentats des groupes armés toujours meurtriers, pointe également à l'horizon une nouvelle donne, celle des disparitions et des exécutions de personnes dues à de mystérieux escadrons de la mort. Ainsi, chaque jour sont découverts dans les périphéries des villes irakiennes, et singulièrement dans la capitale Baghdad, des dizaines de cadavres d'individus criblés de balles ou égorgés, lesquels, sont souvent kidnappés dans la rue voire enlevés de leurs propres maisons ou encore disparaissent de commissariats. Ce phénomène, qui a pris de l'ampleur ces derniers mois, suscite l'inquiétude tant des autorités que de la population. De fait, le minis-tre irakien de l'Intérieur, Bayane Jaber Soulagh a admis, mercredi dernier, dans un entretien à la BBC, la réalité des escadrons de la mort au sein de certains corps des forces de sécurité, tout en niant que ceux-ci aient des liens avec son ministère. Répondant à une question précise de la BBC, le ministre irakien a affirmé «parfois, oui, je peux vous dire (...) avec ces sociétés de sécurité ça ne va pas (...) on ne sait pas ce qu'ils sont en train de faire» soulignant : «Nous tenons à préciser qu'il y a certaines forces qui sont incontrôlées, qui ne sont pas sous nos ordres ou le contrôle du ministère de la Défense». De fait, si ces «forces incontrôlées» n'émanent pas de son ministère ni de celui de la Défense, elles relèvent forcément d'une autre autorité de l'actuel gouvernement transitoire irakien. Ce que semble laisser entendre M.Soulagh lorsqu'il ajoute «Ces forces sont les FPS qui assurent la protection des ministères», faisant référence aux forces de sécurité spéciales connues sous le nom des ‘'Forces de protection des sites'' qui protègent les bâtiments des ministères, les centrales électriques et les oléoducs. «Et leur nombre est énorme (...) il y en a 150.000», souligne Bayane Jaber Soulagh qui précise: «Leur uniforme est comme celui de la police, leur voiture est comme celle de la police, leurs armes sont comme celles de la police ». Ainsi, l'existence des escadrons de la mort est avérée, mais de quelle autorité officielle, ou officieuse, relèvent-ils? Qui les recrute? Qui les paye? Interrogations auxquelles M.Soulagh s'est gardé de répondre restant évasif sur les fondements des FPS, se contentant d'en admettre l'existence et les nuisances face à une réalité irakienne incontournable : des dizaines d'Irakiens -souvent des sunnites - ont été tués (plusieurs suspects ont ainsi disparu de commissariats pour être retrouvés assassinés quelques jours plus tard) depuis le début de l'année par des forces organisées dont les autorités avaient toujours nié l'existence. Au plan politique, l'incertitude reste totale et le blocage persistant avec ce résultat : quatre mois après les élections du 15 décembre, l'Irak n'a toujours pas de responsables à la tête de l'Etat et aucun poste de direction n'a pu être pourvu tels ceux de la présidence de la République (avec les deux vice-présidences), celui du président du Parlement, et enfin celui du Premier ministre, dont le titulaire actuel est récusé par les sunnites et les Kurdes. Les discussions se poursuivaient hier dans l'espoir de dépasser l'actuel blocage et de parvenir enfin à la nomination de responsables à la tête de l'Etat. Le fait est que l'Irak est entré hier dans son cinquième mois de vide politique mettant en exergue les luttes féroces pour le pouvoir qui se déroulent dans les coulisses à l'ombre de l'omniprésence américaine. Faisant une sorte de mea-culpa sur l'actuel vide politique qui prévaut à Baghdad, le député kurde, Mahmoud Osman a indiqué hier dans des déclarations à la presse «En fait, nous n'avons même pas entamé le processus de formation du gouvernement et nous n'avons pas de Premier ministre, ce qui montre que nous tous, les leaders de l'Irak, tout comme les Etats-Unis, avons failli à notre devoir à l'égard du peuple irakien». Cette faillite collective des hommes politiques irakiens est traduite par l'impossibilité pour le Parlement, élu il y a exactement quatre mois, de se réunir normalement à l'exception de la séance inaugurale de la mi-mars. Toutefois, le Parlement a été convoqué hier pour demain par le président sunnite temporaire Adnane Pachachi qui espère une avancée pour les prochains jours, indiquant, lors d'une conférence de presse avoir «(...) décidé de convoquer le Parlement pour le 17 avril» ajoutant: «Les tractations ont franchi certaines étapes et j'espère que le fait d'avoir fixé une date incitera les responsables de tous les partis à redoubler d'efforts pour mettre en place un gouvernement d'union nationale». Un optimisme mesuré certes, mais qui ne semble pas toutefois tenir compte de la situation complexe de l'Irak aux plans politique et sécuritaire.