Il a tiré la sonnette d'alarme. Il a eu raison de le faire. Le président de la République a ordonné l'importation de la viande, à l'occasion du Ramadhan. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Sofiane Bahbou nous explique la mécanique de la filière... L'Expression: Il y a quelques mois, vous aviez déclaré à L'Expression que le gouvernement allait revenir sur sa décision d'interdire les importations de viande, à l'approche du mois de Ramadhan. Nous y sommes, puisque la viande surgelée sera quand même importée. Quelles pourraient être les conséquences de cette décision à quelques jours du mois sacré? Sofiane Bahbou: Je voudrais d'abord remercier le président de la République d'avoir pris cette décision. Nous nous attendions au recours aux importations. D'ailleurs, nous avions lancé, à travers la presse nationale, un appel au chef de l'Etat en faveur du gel de cette interdiction d'importation. Comme vous l'aviez précisé, à la Fédération nationale des importateurs de viandes rouges et dérivés, nous savions qu'on allait connaître une tension sur le produit. Maintenant, pour l'impact de cette décision sur la filière, il faut savoir qu'une centaine d'opérateurs algériens iront à l'assaut du marché international de viande rouge. Une demande massive en un temps très court provoque immanquablement un déséquilibre entre l'offre et la demande. La conséquence directe de cet état de fait sera une hausse des prix. Outre cet aspect financier, se posera un problème d'acheminement de la marchandise. Le caractère précipité de l'opération, et surtout la conjoncture sanitaire, rendront difficile un usage normal de la logistique pour acheminer la viande jusqu'en Algérie. Indépendamment de ces contraintes, je dirai que la sage décision du président de la République permettra de régler un gros problème de prix, pas seulement celui des viandes rouges, mais également de la viande blanche, de la sardine et autres produits qui ont flambé ces derniers temps. Vous voulez dire que la tension sur les viandes rouges et la situation inflationniste sur d'autres produits sont liées? Les ministère de l'Agriculture et du Commerce qui se sont entendus pour interdire l'importation des viandes rouges ont déséquilibré tout le système de l'agroalimentaire en Algérie. Je m'explique: les viandes rouges sont au centre du système. Les prix de beaucoup de produits agricoles sont indexés sur ceux des viandes rouges. La tension exercée sur ce produit fait tache d'huile et se propage aux viandes blanches, au poisson et autres produits. Maintenant que l'importation des viandes rouges est possible, nous allons assister, dans les jours qui viennent à une baisse généralisée des prix des produits agricoles. Vous avez rencontré les deux ministres, celui de l'Agriculture et celui du Commerce, juste après l'annonce de l'interdiction d'importation des viandes rouges. Les avez-vous mis au courant des risques qu'ils faisaient prendre au système agroalimentaire? Et comment ont-ils pris vos alertes? Pour être franc, je dirais que le ministère du Commerce a été sensible à notre discours. Il a transmis nos préoccupations au Premier ministre. Par contre, nous avons rencontré beaucoup de problèmes au ministère de l'Agriculture. On nous a fait des promesses qui n'ont pas été tenues. Nous avons agi en notre qualité de partenaire dans un marché complexe. Nous estimons jouer un rôle important de régulateur dans la filière viande. Nous avons alerté sur la situation réelle du marché. Nous sommes sur le terrain et nous savons ce qui s'y passe. J'aurai souhaité qu'au lieu de recevoir séparément les éleveurs et les importateurs, le ministère de l'Agriculture réunisse tous les acteurs de la filière en même temps. On aurait confronté les informations et les arguments dans l'intérêt de la filière et des consommateurs. Vous nous dites que le ministère de l'Agriculture a péché par une mauvaise appréciation de la situation du marché et la capacité de production nationale? Dans un ministère, on est censé avoir toutes les données d'un problème avant de prendre une décision, à plus forte raison lorsque cette même décision impacte les consommateurs. Dans notre cas de figure, il y avait deux sons de cloche. Mais lorsque l'un des sons de cloche arrive à vous persuader que vous avez une production de viande largement suffisante, au point d'envisager une exportation, c'est qu'on a voulu vous faire avaler des couleuvres. Que ces messieurs qui ont fait ce genre d'annonce se manifestent aujourd'hui. On ne demande pas ce qu'on est censé exporter. Qu'ils nous montrent au moins cette production suffisante.