Le docteur Aïche-Kadra est un médecin réanimateur au CHU Frantz-Fanon de Blida. Il s'agit d'un des établissements qui a le plus souffert de cette crise sanitaire. Comme avec le CHU de Beni Messous, cet hôpital est considéré comme une «boussole» du Covid-19. Selon le docteur Aïche-Kadra, la situation est peu reluisante. Elle est même plutôt inquiétante avec de plus en plus de patients jeunes admis en réanimation. Ce médecin lance un cri d'alerte aux Algériens qu'il appelle à reprendre leurs bonnes veilles habitudes. L'Expression: Bonjour docteur, on a failli vous oublier avec la stabilité qu'a connue la situation sanitaire ces derniers mois. Qu'en est-il aujourd'hui? Docteur Aïche-Kadra Sid Ali: (rire). J'aurais bien aimé ne plus avoir de vos nouvelles, si cela signifie une stabilité de la situation sanitaire. Plus sérieusement, l'épidémie connaît ces dernières semaines une nette recrudescence. On enregistre de plus en plus de consultations pour des suspicions de cas de Covid-19. La majorité est confirmée par la suite. Il y a également un nombre important d'hospitalisations et de cas graves. Beaucoup nécessitent des soins intensifs et sont admis en réanimation. Les services de réanimation de notre hôpital connaissent un flux important de malades. Les échanges avec nos confrères des autres hôpitaux confirment qu'il y a la même tendance un peu partout. Nous ne sommes pas encore dans une situation dramatique, comme le mois de novembre dernier, mais le coronavirus est en train de reprendre en intensité. Si on ne réagit pas vite, on risque de vivre des jours très difficiles. Vous semblez très inquiet docteur pour la suite. Pensez-vous que nous sommes à l'aune de la troisième vague? Je pense qu'il est encore prématuré de parler de troisième vague. Mais effectivement, nous sommes très inquiets. Toute recrudescence d'une épidémie prête à inquiétude. Cela est d'autant plus vrai quand elle intervient dans une période qui facilite sa propagation rapide, comme c'est le cas actuellement avec le grand relâchement qui dure depuis deux ou trois mois. Il suffit de faire un tour dans les rues pour constater la disparition des gestes barrières. Les personnes qui portent le masque se font même de plus en plus rares. Elles sont regardées bizarrement par le reste de la population. À cela, il faut ajouter le fait que le personnel hospitalier est épuisé. Il est au front depuis un an et demi, la majorité d'entre nous n'a pas pris de congé depuis presque deux ans. Moralement et physiquement nous sommes à bout. Je crains bien qu'une nouvelle vague serait très très difficile à gérer. La saison estivale est à nos portes. Le retour des foules dans les plages ne vous fait-il pas peur? Les plages m'inquiètent moins que les mariages et autres fêtes de réussites au bac et au BEM. Il s'agit d'endroits ouverts et spacieux, où il y a une grande aération et où l'on peut facilement respecter la distanciation sociale. Contrairement aux fêtes ou autres réjouissances qui rassemblent dans des endroits clos des centaines de personnes sans le moindre respect des gestes barrières. Nous avons eu des familles entières hospitalisées après avoir participé à un mariage. Les plus fragiles n'ont, malheureusement pas survécu. Il est vrai que les Algériens doivent vivre leur vie. Je suis de ceux qui sont contre un confinement total, mais on doit en parallèle faire preuve d'une conscience collective. On doit retrouver les gestes qui sauvent, faire preuve de civisme et dénoncer ceux qui mettent leur vie et celle des autres en danger. Les autorités doivent appliquer sévèrement les lois qui existent et qui ont montré leur efficacité. Donc, selon -vous, on peut continuer à vivre sans pour autant se mettre en danger? Effectivement. Les Algériens ont déjà montré qu'ils ont appris à s'adapter à cette pandémie. Ils ont gagné plusieurs batailles dans cette guerre avec leur solidarité et leur prise de conscience. Il n'est pas trop tard pour empêcher que les choses dégénèrent. On doit reprendre les gestes qui sauvent. Je m'adresse particulièrement aux jeunes qui sont en train de faire preuve d'un certain laisser-aller. Nous avons, d'ailleurs, constaté qu'ils sont de plus en plus nombreux à présenter des formes graves de la maladie. Est-ce des nouveaux variants? Seuls les épidémiologistes peuvent répondre à cette question à travers des études et des séquençages. Une chose est, toutefois, sûre, c'est qu'ils font moins attention que leurs aînés. Ils doivent penser à eux et à leurs proches. Autre chose, je me permets à travers cette tribune de lancer un appel aux citoyens d'aller se faire vacciner en masse. Ils «boudent» encore cette opération, or elle demeure le seul moyen de mettre fin à cette crise. Les autorités sanitaires doivent les inciter à le faire à travers une campagne de sensibilisation plus forte et percutante. On doit vacciner «l'infox» pour espérer le faire avec les citoyens...