«Rock the Casbah» sa reprise des Clash a été classée parmi l'une des meilleures reprises au monde d'après le Times. Véritable artiste «international» au sens propre du terme, Rachid Taha est l'unique, le seul à avoir sillonné plusieurs fois les routes du monde en un an. Avec plus de 120 concerts en moyenne dans l'année, ce boulimique musicien a soif de public comme de scène et de musique. Il a fait près de 70 pays. Chevelure en bataille, la cigarette au bec, mine sombre, une dégaine de rockeur, nous l'avons rencontré dans sa chambre d'hôtel où il a répondu à nos questions. Lui un provocateur? Sur scène, oui, dans le verbe, lorsqu'il chante oui. Mais face-à-face, il s'est révélé un tendre sensible. Comme une bête apprivoisée. Mais l'animal qui dort en lui va «s'éclater» assurément lors de la tournée algérienne qu'il vient d'entreprendre. Aussi, après Tlemcen, hier, il sera à Oran le 26 mai, Annaba le 28 et à Alger le 31 où il clôturera en apothéose, à coup sûr le festival du mois culturel européen. Ecoutons le philosophe. C'est parce que c'est un artiste, il apporte des idées tranchantes sur la vie, mais avec distance, clairvoyance et objectivité. L'Expression: Et si on remontait le temps, en évoquant la chanson «Douce France». Pourriez-vous l'interpréter aujourd'hui sur scène ou vous semble-t-elle dépassée, au regard cependant de l'actualité qui prévaut en France (loi sur l'immigration de Sarkozy)? Rachid Taha: C'est marrant de parler de cette chanson parce qu'il y a un groupe de musiciens qui l'a reprise cette année. J'ai participé à un concert dont les bénéfices ont servi pour financer des stages pour les jeunes qui ne peuvent pas faire des études. Donc, ils l'ont reprise de la même façon que je l'ai fait il y a 20 ans. Ils n'ont rien changé. Elle est toujours d'actualité, tout à fait. Cela veut dire qu'il n'y a pas grand chose qui a changé, malgré nos mises en garde et que les problèmes demeurent. Il faut trouver des solutions. Je ne sais pas si avec une chanson, on peut trouver une solution. Vous êtes né en Algérie mais ayant grandi en France. On sait que Rachid Taha est un chanteur militant. Certains artistes et intellectuels se sont élevés contre cette loi du 23 février. Vous-même quelle a été votre réaction? Je n'ai pas eu une réaction précise... Je trouve triste de revenir toujours sur le passé. S'il sert l'avenir c'est très bien. Mais si le passé ne sert qu'à créer des rancoeurs et créer des divisions, ce passé-là ne m'intéresse pas.Ceci dit, c'est vrai que l'histoire doit être établie exactement de la même manière que ce qui a été fait par les Américains par rapport au Vietnam, où les Français et les Allemands...Faut-il avouer, il reste encore des problèmes liés au passé qui demeurent entre la France et l'Algérie. Ça n'a pas été encore réglé. Quelle est la philosophie de vie de Rachid Taha? Quand je dis qu'il ne faut pas se tourner vers le passé, c'est pour ne pas créer que de la rancoeur. Quitte à se tourner vers le passé mais pour avancer. C'est vrai qu'il faut reconnaître les choses qui ont été perpétrées. La France a commis de nombreuses fautes. A mon avis, il faut régler ce problème le plus tôt possible. Là, vous m'ouvrez une petite brèche pour entamer la discussion autour des relations algéro-françaises... Tant que les relations restent tendues entre l'Algérie et la France, nous aussi, on vit cette tension-là, en France. Toutes les générations d'immigrés confondus. Mais qu'en est-il de l'avenir de ces relations entre les deux pays. Etes-vous optimiste ou le contraire? Je suis optimiste parfois mais pessimiste souvent. Il faut dire que cela n'avance pas trop vite. J'ai l'impression, parfois, qu'on ne fait que dégrader la situation. Dans vos chansons, vous mettez toujours des mises en garde, comme pour prévenir les gens du danger qui les guette et qui peut survenir à tout moment. Oui, souvent, notamment dans la première chanson «Zoubida» où je mettais en garde contre l'intégrisme il y a de cela 24 ans. Après, avec Carte de séjour, on a parlé des problèmes de travail. Enfin de la discrimination positive comme on le dit maintenant, dans les boîtes de nuit par exemple...C'est vrai, malheureusement, souvent, j'ai mis le doigt sur ces problèmes et ils durent. C'est malheureux. Parlant musique, il est regrettable de constater qu'on connaît très peu sur vous. Vos disques ne nous parviennent pas, ne sont pas distribués en Algérie. Et si on écoute vos chansons, rare où l'on fait attention à la portée très «signifiante» de vos textes... La meilleure façon de connaître mes textes restent effectivement que mes disques doivent être diffusés ici. On va essayer de remédier à ça. Mes textes parlent de choses que je vis, que je vois quotidiennement. J'essaye parfois de me mettre en garde moi d'abord, puis les autres. il faut batailler. Ce n'est pas facile, parce qu'on n'a pas toujours la facilité de parler de pareils sujets. J'ai la chance d'en parler lors de mes conférences et les interviews mais je crois que ce n'est pas suffisant. Vous dites quand vous parlez des autres qu'en fait, c'est de vous-même dont il s'agit... Parce que l'autre c'est moi. Je n'existe pas sans l'autre. Rachid Taha a beaucoup évolué musicalement mais il reste très attaché aux racines arabes. Quand même, vous avez reçu un prix en 2001 pour le meilleur album dans la catégorie world music. Vous-même, comment pourriez-vous définir ou présenter le style musical que vous faites? C'est difficile de répondre. J'ai toujours l'impression d'apprendre. Je n'ai pas l'impression d'avoir tout exploiter, de tout exprimer. C'est un travail qui a été, certes, parfois pénible mais en même temps assez intéressant. Je considère la musique parfois comme une arme. Non violente. Ce n'est pas facile de parler de ce qu'on fait. Cela veut dire aussi de parler de soi. Et il m'est très difficile de parler de moi. C'est dû à une espèce de pudeur. Peut-être que je ne fais pas assez bien mon travail. C'est-à-dire que si je le faisais véritablement bien, je pense qu'on n'aurait pas besoin de poser des questions. Cela veut dire que mes réponses auraient dû y être. donc il va falloir que je travaille plus (sourire)... Dans vos albums, on y trouve souvent des coups de coeur. Vous faites souvent appel à des musiciens... Parfois c'est eux qui font appel à moi, oui. On s'est rendu compte au fil des années, que votre verbe se fait de plus en plus tranchant. Je me suis rendu compte que la métaphore n'est pas souvent comprise. Donc il faut aller directement aux choses... Des idées sur le prochain album? Ça va être le Diwan 2. En revoyant certains standards arabes et africains aussi. C'est comme si je trouvais un tableau dans un grenier et puis je le nettoie. Voilà. C'est ce que je fais. Il y aura Dahmane El Harrachi une fois de plus, il y a Mazouni, le chanteur de l'immigration, il y aura aussi Oum Keltoum, peut-être Abdelhalim Hafedh, Blawi El Houari, aussi un Camerounais Francis B., parce qu'on est Africain aussi... T'es qui toi alors? Je crois que j'ai répondu à cette question (sourire). Si tu regardes la pochette de l'album, il y a un côté messianique, notamment avec la barbe un côté guevariste, etc., c'est un peu pour dire qu'on est l'autre, et rien sans l'autre et si on peut évoluer, avancer, il faut respecter l'autre. Plus le respect entre les hommes existe, plus on fera de belles choses. La chanson «Ya rayah» que vous avez remis au goût du jour est devenue, aujourd'hui, le chant de ralliement de la jeunesse de Beyrouth. Quelle a été votre réaction suite à cette nouvelle? Je viens de l'apprendre. C'est génial. Ça fait plaisir. Une chanson qui vient d'Alger, chantée à l'origine par un chanteur de l'immigration qui est Dahmane El Harrachi, est devenue presque un hymne de la jeunesse libanaise de Beyrouth, en même temps que c'est une chanson qui se trouve dans le dernier film de Nani Moretti qui est réalisateur à grands films, elle est aussi chantée par tous les orchestres orientaux du monde, dans n'importe quel hôtel du monde. En plus, elle a été reprise en turc et en grec...C'est bien! parfois la chanson a du bon alors... Que seriez-vous devenu sans votre compagnon de route, votre producteur Steve Hillage. On sent un lien très fort entre vous deux... J'aurai choisi quelqu'un d'autre. Je m'entends bien avec lui. Pourquoi ne pas continuer avec lui. Un lien fort complètement. Là, le prochain album, on est en train de le préparer ensemble. Si vous n'étiez pas chanteur, vous auriez fait quoi comme autre métier? Politologue? Philosophe? J'aurai fait peut-être journaliste. Mais moi, j'ai travaillé et étudié sur le tas. Je n'ai pas fait d'études. La philosophie, je la fais là, à ma façon. Pour faire philo, on n'est pas obligé d'aller à l'école en fait. Chacun sa propre philosophie, la suite, il y en a qui sont plus malins que d'autres. Un mot sur la disparition de Cheikha Rimiti? Je ne sais jamais quoi dire quand il y a quelqu'un qui disparaît. J'ai rendu hommage à Cheikha Rimiti, il y a très longtemps avec Carte de séjour. Même quand je faisais des émissions de radio, on me demandait sur mes influences musicales, je parlais de Rimiti, du raï, de la femme, etc. Je lui rends hommage à travers mon travail, mon écriture, ou la façon de chanter des meddahate. Je rends souvent hommage aux femmes et, partant, de Cheikha Rimiti qui d'ailleurs, tournait beaucoup dans le monde. Elle était connue dans le monde, tournait aux USA, en Angleterre...Peut-être pas reconnue, ici (en Algérie, ndlr). Nul n'est prophète dans son pays.