De l'insurrection armée déclenchée le 1er Novembre 1954 à 1958, de nombreux actes sanglants et meurtriers se sont déroulés durant la lutte libératrice. Ils ont emporté les dignes fils de l'Algérie combattante, Zighout Youcef, artisan de l'insurrection du Nord-Constantinois, tombé dans une embuscade tendue par les Sénégalais à la limite ouest de Skikda, (page 76)*, Larbi Ben M'hidi, pendu par Aussaresses et ses gradés, (page 169)*, (arrêté avec Chergui Brahim dit H'mida, chef de la Zone autonome d'Alger), lieutenant Dahmani Slimane, dit Belkhdime, colonel Lotfi et ses compagnons etc... Dès son arrivée au pouvoir en 1958, De Gaulle s'est engagé dans un processus irréversible de démantèlement de la colonisation de l'Algérie par une succession de discours enrôlée délicatement dans une voie ambiguë que rares sont les analystes politiques avertis de l'époque qui pouvaient déceler l'issue, quand bien même seraient connues les dépenses vertigineuses en milliards qui coûteraient à la France en pleine ascension de développement socio-économique. Des manifestations ont secoué l'Algérie tout entière, du nord au sud, de l'est à l'ouest, en cette journée glorieuse du dimanche 11 décembre 1960. Ce mouvement populaire va activer cette dynamique, lui qui la veille du 8 mai 1945 n'a pas su éviter aux peuples, algérien et français, les massacres des uns et les pertes finalement injustifiées historiquement de la jeunesse métropolitaine, loin d'être partie prenante ou concernée par le conflit. Déjà, le 4 novembre 1960, dans une allocution télévisée, De Gaulle a pris conscience véritablement de la gravité des évènements puisqu'il affirme: «en prenant la destinée de la France, j'ai décidé de suivre un chemin nouveau qui conduirait à l'Algérie algérienne». Puis, il a lancé les éléments qui mettaient sur les rails le recouvrement de la souveraineté nationale en proposant une évolution naturelle des évènements: «L'interruption de l'emploi des armes, (cesser-le-feu), il appartient aux Algériens de décider de leur destin où les responsabilités seraient aux mains des Algériens. L'Algérie de demain sera décidée par l'autodétermination, peut être faite avec ou contre la France, les dirigeants de venir participer aux pourparlers, la République algérienne existera un jour». Voilà les éléments clés de cette intervention télévisée. Les manifestations du 11 décembre 1960 vont conforter le général dans son analyse d'autant qu'il se trouvait en Algérie dès le 9 décembre 1960. Elles se sont succédé au processus politique en trois dimensions: -a) l'Algérie algérienne prônée durant la tournée du général de Gaulle en Algérie le 9 décembre 1960, -b) la démonstration de la position des colons, le 10 décembre 1960 à Belcourt, nourrissant une Algérie française à l'Apartheid (genre Afrique du Sud), -c) l'incontournable revendication de l'autodétermination du peuple. La position des trois parties au conflit s'est remarquablement clarifiée. Elle a permis d'éclore deux impacts: -1) le peuple algérien s'est exprimé en faveur de l'indépendance du pays sous l'égide du FLN permettant au GPRA et au partenaire français d'ouvrir des négociations officielles et directes. -2) de conforter ce premièrement sur le plan international traduit par le droit du peuple algérien à disposer librement de son destin et son inscription à l'ordre du jour des Nations unies. À l'instar des villes algériennes, Béchar, capitale du Sud-Ouest, était présente au rendez-vous historique. 11 décembre 1960 à Bechar Bechar, capitale régionale de la Saoura, région frontière du Sud-Ouest, sous occupation et administration militaire française à partir du lundi 12 novembre 1903, est située à 1100 km d'Alger. La préparation, l'organisation de la manifestation du 11 décembre 1960 a été l'oeuvre d'un comité restreint, trié sur le volet, tous ses membres issus des masses laborieuses. Cet épisode me marqua indélébilement et profondément. La veille de cet important évènement, le responsable politique, chef de l'OCFLN, successeur de Mohamed Mechati et Chihani Bachir, Lagra Dine alias, si Abdelkamel, (1954-1962), (que l'Eternel les accueille en Son Vaste Paradis), (dont je fus le secrétaire permanent), m'ordonna d'être prêt dans la matinée de cette journée mémorable du dimanche 11 décembre 1960, à la place de Debdaba, (quartier Nord de la ville). Les instructions contenaient deux éléments essentiels: - 1) la mobilisation du maximum de jeunes, sans fournir d'explications à ces jeunes du pourquoi de leur présence sur les lieux et, - 2) d'éviter l'affrontement avec les forces coloniales de répression ou de répondre à leur provocation, (le motif de cet ordre de retrait était sûrement la crainte d'être arrêté). Ce dimanche 11 décembre 1960, Béchar a connu une 1ère manifestation, déclenchée tôt la matinée au centre-ville, (l'unique marché aux fruits et légumes attenant à la mosquée, face au centre de santé dit hôpital Sassi), seul endroit où la population civile algérienne pouvait être présente en grand nombre. Beaucoup de gens ont été pris dans la tourmente. Ils se trouvaient là pour faire leurs emplettes Elle a été vite dispersée, suite à l'intervention musclée de la police française. Cette manifestation a été préparée minutieusement. Le Nidam a prévu que les femmes seraient présentes sur les lieux bien après le déclenchement. Elles n'entreront en action qu'après la réaction des forces coloniales face à la mobilisation des hommes. Le quartier de la Chaâba, (berceau de la résistance populaire et frontalier du lieu du déroulement de la manifestation), était à la fois, le lieu de regroupement de la gent féminine avant le feu vert de l'entrée en action, mais aussi le terrain propice à un repli stratégique. Les femmes se sont distinguées Cette tactique a été rigoureusement étudiée et scrupuleusement suivie. Ainsi, les femmes ont succédé aux hommes après un calme précaire observé et la majorité des forces coloniales retirée en laissant sur les lieux, un minimum d'éléments répressifs. Ces militantes mobilisées pour l'occasion ont tenu le coup plus longtemps par rapport aux hommes. Elles ont défié les forces de l'ordre. Elles sont demeurées sur les lieux plus longtemps que prévu. La mobilisation, le rassemblement des femmes, le déroulement, le suivi et la couverture de l'évènement pour la gent féminine, ont été totalement confiés, dirigés, organisés et guidés conjointement par les militantes mémorables, feues Fellah Djemaâ et Safi Zana, sans oublier de citer celle qui fut pour une grande part de la mobilisation des femmes à la Chaâba et a su, on ne sait comment, convaincre les époux, d'autoriser leur moitié à assister à la manifestation, il s'agit de la Grande Dame Safia bent Djelloul, veuve Zidani, sous bonne escorte appuyée de Mimouna Benguerba, militante chevronnée, (que Dieu les accueille dans Son Vaste Paradis). Les femmes, («empaquetées» dans leur voile blanc), ont été fortement bousculées. Les forces de l'ordre françaises ont été surprises par la présence féminine. Elles ne s'attendaient nullement, (car en ces temps là, la femme était cloitrée et ne pouvait s'aventurer librement dans la rue). Ces forces répressives n'avaient aucune expérience pour affronter ce genre de manifestants, ni aucune instruction pour gérer cette question d'un phénomène unique en son genre dans une ville du Sud où les femmes sont claquemurées et distinctes du monde masculin. Puis, ce soulèvement populaire s'est transféré à Debdaba, l'autre quartier de la ville, située au Nord. Il ne faut pas omettre de signaler que des manifestations ont secoué également Bidon Deux, Kénadsa et Abadla. Il appartient aux militants de ces bourgs de les relater. La garde raprochée La manifestation dite du 11 décembre 1960 à Debdaba,: (terroir d'hommes engagés, connus pour leur bravoure), a pris le départ à 10 heures. Les gens ont commencé à se rassembler dans la place, située entre l'antenne de la police de quartier et la mosquée. La jeunesse était en grand nombre. Certains jeunes essayaient de connaître le pourquoi de ce rassemblement. Si Abdelkamel, responsable politique de Bechar, chef de l'OCFLN était présent sur les lieux. Tantôt à la tête du rassemblement, tantôt s'éclipsant parmi la foule. Quelques militants paraissaient assurer sa garde rapprochée, mais changeant d'un instant à un autre, (pas toujours les mêmes), pour se mouvoir ensuite dans la masse qui continuait de grossir. Il ne cessait de gesticuler, probablement donnant des instructions à son entourage. Parfois, il donnait l'impression de sermonner. D'autres disparaissaient pour resurgir de nouveau sur un des flancs de la foule. Les gens accouraient de toutes parts. Des jeunes gens à peine la trentaine formaient le gros lot de la foule. Ils se trouvaient en tête du peloton encouragés par des youyous stridents qui jaillissaient de toutes parts. Des badauds finissaient par se joindre aux manifestants. Les policiers, (en civil et en tenue) se tenaient debout à l'entrée du commissariat sans s'approcher de la foule. Ils dévisageaient sans broncher. À quelques minutes du signal du départ, quelques policiers en civil, munis de matraques ont pris position au-devant des ruelles donnant accès à la voie principale sûrement pour mieux canaliser la manifestation au demeurant pacifique, comme pour lui tracer un itinéraire précis pour mieux la réprimander. Mais c'était sans compter sur la détermination des militants convaincus de la juste cause. Ils ont déferlé dans les rues aux cris: «l'Algérie libre, indépendante». Des chants patriotiques ont été entamés par des adolescents, à croire qu'ils ont appris ces chants en prévision de cet évènement. Chaque fois que la foule arrivait à proximité d'une porte d'une maison longeant cette avenue principale, les femmes lançaient des youyous stridents comme des sirènes. Ces chants patriotiques, ces youyous stimulaient et encourageaient les manifestants. Vers 13 heures, la colère des policiers était à son comble. Eparpillés dans les voies étroites environnantes, quelques manifestants en subissaient les retombées. Ils couraient dans tous les sens, harcelés par les forces répressives. Ces dernières frappaient avec haine, acharnement, sans discernement. Je fus personnellement piégé avec un groupe de jeunes vers 13h30 à la rue Abdelkader Adrari, (parallèle à la rue Bouhafs, ex-rue Tigline, siège de l'OCFLN, domicile du responsable politique, Si Abdelkamel), reliées par une voie perpendiculaire. J'ai dû mon salut à un camion stationné sur les lieux. N'étant pas du tout un sportif avéré, je ne sais pas comment après un élan, je fis soudain un saut qui me propulsa sur le capot du camion, pour glisser ensuite et atterrir sur le trottoir situé entre le mur et le véhicule en stationnement. Après quoi, je me suis faufilé en prenant mes jambes à mon cou au grand dam de mes poursuivants. En quelques secondes, je fis les quelque 500 mètres qui me séparaient du tournant providentiel de la rue Bouhafs, lieu de mon domicile. J'ai réintégré la maison familiale, située à 100 mètres de l'intersection des deux rues. La porte du domicile était ouverte probablement en raison de mon retour. J'ai eu, d'ailleurs, le réflexe de la fermer derrière moi. J'ai trouvé mon père debout dans la petite cour avec un bidon de peinture, un pinceau dans ses mains, un escabeau déjà installé dans la cuisine. Il m'intima l'ordre de blanchir le plafond de la cuisine. Comme paralysé par le regard sévère de mon père et le ton inhabituel exercé à mon encontre, j'ai même oublié de demander à déjeuner. Je ne savais même pas si j'avais faim ou pas. Vers 15h, les policiers frappaient aux portes de certaines maisons pour y pénétrer avec fracas, proférant des insultes et des phrases calomnieuses. Par miracle, notre maison fut épargnée de cette visite musclée. À cette heure-là, j'étais devenu blanc comme neige. Mes vêtements, mon visage, mes cheveux étaient totalement imprégnés de blanc, digne d'un professionnel de la peinture. Cette journée de décembre 1960 a été l'un des évènements qui m'ont le plus marqué, incrusté à jamais dans ma mémoire. Une journée glorieuse où s'étaient entremêlés des instants d'héroïsme, des femmes «emballées» dans leurs «haïks» pour la première fois en si grand nombre dans la voie publique sans être accompagnées, des jeunes gens, désarmés, bravant les forces répressives avec un courage exceptionnel. Une journée inoubliable.