Le coup d'accélérateur de l'histoire qui a rendu inéluctable l'indépendance de l'Algérie en lutte, fut donné, fin 1960, par les manifestations du 10, du 11 et du 12 puis des journées de décembre qui suivirent. Durant ces jours d'hiver particulièrement rigoureux, des femmes, des enfants et des adolescents- dont nombre d'entre eux avait ou un frère ou une sœur, ou un père, ou plusieurs membres de la famille et proches, emprisonnés, ou au maquis, ou tombés au combat- sont sortis dans les rues, brandissant le drapeau vert et blanc, frappé de l'étoile et du croissant rouges, qui ornera par la suite, toutes les manifestations pour l'indépendance, organisées en divers points du territoire. Les Algériens sont entrés dans cette bataille avec des slogans et des inscriptions qui ne laissaient aucun doute sur la revendication de l'indépendance totale, rejetant et le mot d'ordre des ultracolonialistes, «Algérie française», et celui, ambigu, de la troisième voie, «Algérie algérienne», suggéré par De Gaulle, alors président français. Les manifestants ont affronté les mains nues l'appareil de répression colonial français. Les envoyés spéciaux de la presse française reconnaissaient qu'il s'agissait d'une explosion populaire qui démentait toutes les constructions de la propagande colonialiste et sonnait le glas de la «troisième force» que De Gaulle voulait opposer au FLN. Les 10, 11 et 12 décembre 1960, furent les «trois jours qui ébranlèrent la France», selon les termes du journaliste français, Claude Estier. Les manifestations pour l'indépendance de leur pays que les Algériens ont lancé en décembre 1960, ont mis en échec la tentative du général De Gaulle, d'imposer une troisième voie sous couvert du slogan trompeur d'Algérie algérienne. «Algérie musulmane !» et «vive le FLN !», lui ont répondu les Algériens, pour qu'il n'y ait aucune équivoque sur le sens de leur manifestation qui a été réprimée dans le sang par l'armée française. Les dirigeants algériens savaient que De Gaulle était le chef du Gouvernement français provisoire, le 8 mai 1945, au moment des massacres de Sétif et Guelma, qui seront le prélude au déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre 1954. Ils ont également observé que le retour au pouvoir du général De Gaulle, en mai 1958, au plus fort de notre Guerre de libération, a été accompagné d'une férocité encore plus grande de l'armée française, renforcée par les moyens de l'Otan, contre les patriotes algériens. Les sacrifices consentis par les Algériens dans la poursuite de la lutte pour l'indépendance de leur pays, après l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir, ont sans doute convaincu ce dernier que le maintien de l'Algérie française était impossible et qu'il fallait promouvoir une troisième voie en dehors du FLN. Cette démarche néo-coloniale, appliquée à d'autres pays voisins, a motivé sa visite en Algérie qui devait s'étaler du 9 au 12 décembre 1960, à quelques jours seulement de la date à laquelle l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU) devait étudier la question algérienne, une séance programmée pour le 19 du même mois. Le 9 décembre, à Ain Témouchent, première escale de la visite du général de Gaulle, les manifestants algériens lançaient leur slogan : «Algérie musulmane». Le lendemain, 10 décembre, en fin d'après-midi, sous une pluie battante, des milliers de personnes, enfants et femmes pour la plupart, encadrés par des adultes, le drapeau de l'Algérie en main, occupent la rue de Lyon (rue Mohamed Belouizdad, aujourd'hui) qui traverse le quartier de Belcourt (aujourd'hui, Belouizdad). Dès l'arrivée des premiers manifestants, deux hommes et un enfant sont tués par les balles d'un colon perché sur un immeuble. D'autres victimes suivront. Drapeaux algériens brandis très haut, les manifestants poursuivent leur marche encouragés par les youyous stridents des femmes. Ils se heurtent dans la rue, aux CRS (Compagnies Républicaines de Sécurité, chargées de la répression contre les Algériens) et à des centaines de gendarmes venus leur barrer la route. Le 11 décembre, au matin, à La Casbah, à Belouizdad et à El Madania, ainsi qu'à Blida, Oran, Chlef, Annaba, Constantine et ailleurs, la foule sort, défie l'armée coloniale, exige l'indépendance de l'Algérie. Les militaires français et les colons tirent sans hésiter visant la tête et la poitrine. Un véritable carnage se produit. Mais le peuple algérien est déjà sur le chemin de la victoire.