Originale de par sa forme et son contenu, le premier jet de cette publication a, comme appui thématique, «le don et contre-don» tant du point de vue symbolique que dans l'échange économique. Donner ou don et contre-don est le thème du numéro de la revue Checkpoint, publication semestrielle et bilingue arabe/français, éditée par La plate-forme et ici par le ministère de la Culture et le CCF, et disponible à la librairie des Beaux-Arts. Résolument contemporaine, tant dans sa forme que dans son contenu, Checkpoint (point d'arrêt) est une revue d'art original qui se veut unique dans son genre de par son format A3 et les problématiques abordées. Conçue et éditée par Djamel Kokene qui se définit en tant qu'artiste en apprentissage, c'est-à-dire en perpétuel construction, cette publication est née d'un désir et d'un besoin d'inventer un espace international d'échanges, en direction de pays arabophones et francophones, qui soit à la fois un lieu de croisement d'idées et de pratiques artistiques contemporaines. Ce désir s'inscrit dans la continuité des objectifs tracés par La plate-forme que Djamel Koken a initiés en 2002, qui, en tant que laboratoire et espace de réflexion, interroge les stratégies de visibilité et les modes de réappropriation intellectuelles et techniques employées par les artistes migrants ou non. Plutôt l'axe qui se veut dominant dans le monde, à savoir euro-américain, Checkpoint qui se plaît à se singulariser pour «être» et non «avoir» au risque de s'assimiler dans sa représentation et perdre de son authenticité, opte pour l'axe transversal euro-méditerranéen, comme objet de réflexion, de recherche et de dialogue même contradictoire, tant sur les mutations artistiques que sociales, économiques et politiques. Sur un fond rouge, Checkpoint veut contribuer à une meilleure compréhension de l'image, autant de soi, que de l'autre partant du concept du don/contre-don comme il est stipulé dans un dossier consacrant un dialogue à bâtons rompus entre Daho Djarbal, directeur d'une autre revue algérienne Naqd (critique), et Djamel Kokene. Ce qui est mis en jeu dans ce numéro, affirme cet artiste idéaliste, ce sont les conditions de production des échanges, c'est-à-dire les possibilités de leur mise en oeuvre dans le réel, et ce, dans la perspective de l'économie globale tant du point de vue de l'échange que de celui de la représentation symbolique à travers les notions de «don», de «contre-don», «d'échange» et de «gratuité»...Autrement, explique-t-il encore: Checkpoint se veut être un outil d'investigation critique de la création artistique contemporaine et, en ce sens, elle entend contribuer à une meilleure appréhension du sensible en prenant en compte la divisité des productions tant théoriques qu'artistiques pour tenter d'apporter un éclairage singulier sur ce qui constitue, aujourd'hui, un certain «déficit de représentation». Ce dernier l'explique par le surdosage paradoxalement alimenté, selon lui, par «les médias télévisuels, publicitaires et journalistiques qui continuent de formuler et de contrôler l'opinion des citoyens, et ce, dans l'équilibre paradoxal fait de rêves et de rejets, d'illusions et de peurs, renseignant, de fait, la possibilité d'un rapprochement effectif des individus oeuvrant dans des champs divers et ne se rencontrant que peu, voire jamais». Ça se discute...Et, justement, pour en débattre ou en «philosopher», la revue Checkpoint fait appel à des artistes et chercheurs à approfondir, illustrer par des textes ou des oeuvres, ce sujet. Dans le numéro zéro, la revue s'ouvre sur un texte signé Bureau d'études et qui parle de la dualité de l'économie du jeu de Klossowski à savoir, l'économie pulsionnelle et l'économie matérielle dont s'en sont inspirés Deleuze et Gualtari dont «la machine désirante» à laquelle obéit l'homme dans la société, pour arriver finalement à l'économie des forces destructrices régies par l'économie mondiale. Dans un dossier intitulé «Un capital d'absence?» signé par Christophe Boulanger et Mohamed El Baz, «la question est celle d'une économie informelle de sentiments». Utopie ou illusion, le don doit-il s'accommoder et suivi forcément d'un contre-don? Prenant pour exemple la modestie dont fit preuve Lafayette en disant un jour à G.Washington qu'il était aux Etats-Unis «pour apprendre et non pour enseigner», Julien Rémy et Alain Caillé posent ainsi la question dans un dossier «Ne vous demandez pas ce que vous pouvez faire pour l'Afrique...» et de se demander: «Pouvons-nous espérer voir émerger de tels rapports entre l'Occident et l'Afrique? Pouvons-nous espérer voir des Blancs débarquer à Ouagadougou ou Bamako en disant qu'ils sont là pour apprendre?» Serait-ce alors le syndrome du complexe du colonisé, à l'inverse? Enfin que de questionnements dont la couleur répond au nom de humanisme, le don dans son acception moderne, symbolique et artistique constitue une part de recherche minutieusement élaborée et fournie par Jean-Claude Moineau dans «Etant donnés». Outre le texte, le visuel dans Checkpoint se veut aussi attractif et...drôle à travers des images assez incongrues dont une de Philippe Meste. Ce dernier s'est construit depuis 10 ans une réputation d'artiste hors normes à travers ses actions radicales à l'image de l'attaque du port de guerre de Toulon, en novembre 1993, et par laquelle il a pris d'assaut le porte-avion Foch avec une embarcation lance-roquettes. Son oeuvre, ici, est désignée sous le nom de «Spermcube». Actuelle, innovatrice et recherchée, cette revue d'art et des pensées contemporaines s'apparente à un hors-série et souhaite le rester en permanence. C'est parti pour. Son aspect le confirme. A acquérir absolument. Surtout pour ceux qui revendiquent leur différence...A 500 DA, ça vaut vraiment la peine de l'acheter! Pour l'enjeu actuel dont elle rend compte dans le rapport qu'entretiennent les individus que ce soit sur le plan local ou global dans les sociétés entre elles.