Une Sorte de «plateau» d'expression dans lequel convergent un ensemble de pensées... Une revue où les idées s'entrechoquent, s'échangent dans «un entre-deux» constructif, captivant, voilà un concept original de Checkpoint. Présentée comme une revue d'art et des pensées contemporaires, elle est initiée par l'artiste Djamel Kokène, qui se définit comme quelqu'un de nomade...Editée -toujours dans son numéro 1-, par les éditions Laplateforme, cette revue annuelle paraît en trois langues: français, anglais et arabe. Elle se veut être «un plateau d'expression dans lequel vont converger un ensemble de pensées», lesquelles sont accompagnées d'images incongrues ou de signes artistiques qui forment le concept fortement décalé de cette revue qui sort de l'ordinaire. D'abord par son format et son contenu audacieux. En effet, conscient que le marché de l'art est dominé par un certain nombre de revues mondiales qui soi-disant critiquent l'Amérique tout en préservant son marché, Djamel Kokène oppose une autre vision à ce monde «global» qui tend à imposer ses formes politiques, sociales et culturelles dans le monde. Son engagement passe, ici, par les articles développés dans cette revue à forte connotation artistique faut-il le souligner, nonobstant l'intérêt de ces articles à lire attentivement. Chose faite, Checkpoint s'attaque ici ainsi à la «globalisation» qui «s'accommode sans difficulté, nous signale-t-il, d'une illusion de diversité construite presque entièrement de toutes pièces, artificiellement de différences qui sombrent dans l'indifférence». Le ton de la revue est donné. La solution? Il est recommandé l'interpénétration des cultures, tout comme la tactique de la réappropriation tout en absorbant celle de l'autre dans un effet de reprise systématique, d'où la notion de rejouer représentée par le titre générique de cette revue. Voilà qui est dit. Appropriation/ réappropriation, cannibalisation...tout ceci est clairement exposé dans un dialogue des plus passionnants entre Djamel Kokène -qui, tout en posant des questions, pousse la réflexion sur cette globalité, à la langue, elle même victime de la globalisation, mais aussi à l'écologie et à la religion (la mort de dieu...) et cherche les effets et les causes dans ce rapport métaphysique à l'histoire- et Mehdi Belhadj, écrivain philosophe... Etant au coeur de cette globalisation celle-ci étant appréhendée avant tout par la pensée et l'action, Djamel Kokène évoque aussi «les artistes non occidentaux ou dénommés négativement "identités émergentes" par la culture globale, se référant au pays d'origine lui-même dit "émergent", (qui) sont dans la prise de risque dès lors qu'ils décident d'assumer ou d'exposer leur gestes.» Il est mentionné aussi, que la réappropriation tant technique, intellectuelle, qu'artistique, joue un rôle important et ce, tant du côté des sociétés occidentales que de celui des sociétés non occidentales. «Il faut dire que la réappropriation découle d'une géographie mentale, poussant chacun à réinventer sa localité mondialisée» en ce sens que pour notre artiste, c'est d'abord la réinterprétation qui compte. «Loin de "faire" sien d'un signe ou d'une forme pour se constituer "propriétaire", il s'agit d'induction et de diffusion tant dans l'espace politique, institutionnel que social», souligne-t-il. L'exemple frappant est donné par Nadira Laggoune-Aklouche qui s'est évertuée à nous expliquer cette tendance ou mécanisme de l'absorption schématisée entre l'Algérie et la France par l'expérience de l'association d'arts plastiques Aouchem. «Unique en son genre en Algérie, elle a été une tentative de transformer l'appropriation des méthodes de représentation modernes européennes à leur propre compte... dès lors ces artistes deviennent les ambassadeurs représentant l'art algérien et les fondateurs d'une "école du signe" qui fera son chemin aussi bien en Algérie qu'à l'étranger. Ils marquent ainsi une nouvelle approche de l'image réappropriée et réinterprétée pour servir un discours sur soi dans un contexte nouveau, celui de la modernité algérienne, prouvant que la modernité n'est pas forcément une perte de soi.» Une utilisation, en somme, d'une composante de la culture de l'autre comme l'ont déjà fait nos écrivains algériens dont Kateb Yacine qui utilisera, au départ, la langue française comme «butin de guerre» et donc comme une arme pour lutter contre l'autre et dénoncer ses dépassements. Nadira Laggoune- Aklouche achève son exposé en dénonçant, elle aussi, le système capitaliste, aujourd'hui mondialisé qui «s'est toujours ingénié, avec virtuosité, à absorber (et donc à vampiriser) les formes d'expression nouvelles, surtout si elles sont à caractère subversif, revendicateur et dénonciateur en les récupérant par une reconnaissance officielle qui les fait entrer dans les institutions.» Elle fera remarquer, en outre, l'effet «omnivore» des grands pôles artistiques que sont New York, Londres, Paris ou Berlin, qui entraîne une dissolution du caractère vivace et corrosif de l'art. Cette globalisation, affirme-t-elle, prise sur le plan économique opère avec le même schéma la délocalisation de sa production en absorbant le marché local. Mais que l'on ne s'y trompe pas, il existe une nouvelle génération d'artistes, y compris locaux, qui, tout en se familiarisant avec le monde international de l'art et avec les nouvelles technologies, parviennent à déjouer ces pratiques par «l'introduction de modes de pensées en faveur de la construction de modèles identificatoires nouveaux». Ainsi, «ils pratiquent les nouvelles technologies pour traiter avec audace des sujets en prise directe avec la réalité». Elle en donne pour exemple la vidéo et deux noms: Amina Zoubir et Hassen Ferhani...Attirante, cette revue, loin d'avoir divulgué tous ses secrets, est disponible chez les libraires au prix de 500DA.