L'assassinat, jeudi, de l'ancien chef de guerre libanais, fait remonter à la surface l'affaire des massacres de Sabra et Chatila. Victime d'un attentat à la voiture piégée, jeudi à Beyrouth, Elie Hobeïka était un ancien chef de guerre libanais, et dirigeant des milices chrétiennes de la Force libanaise (FL) qui jouèrent un rôle important, aux côtés des soldats israéliens, dans la persécution, en 1982, des populations palestiniennes. Hobeïka était, entre autres, l'un des responsables du massacre de Palestiniens des camps de Sabra et Chatila. Elie Hobeïka, qui joua les factions libanaises les unes contre les autres, incitant à la haine entre chrétiens et musulmans, avait certes beaucoup d'ennemis. Mais la guerre civile au Liban est finie depuis de nombreuses années. Aussi, après son assassinat, l'une des questions qui viennent immédiatement à l'esprit est de savoir pourquoi maintenant? Alors même que le leader phalangiste était rentré, depuis de nombreuses années, dans les rangs parvenant à occuper un poste ministériel dans les premiers gouvernements de l'après-guerre civile. Qui au Liban avait intérêt à se débarrasser, ou à faire taire, cet ancien chef de guerre? Ses ennemis, il ne fait pas de doute, ne manquent pas. Mais pourquoi maintenant? Nombreux sont les observateurs qui ne doutent pas qu'il y ait un lien entre cet assassinat et l'affaire Sharon dont avait à connaître le tribunal de Bruxelles, suite à la plainte engagée contre le Premier ministre israélien par 23 Palestiniens rescapés du carnage de Sabra et Chatila. Lors d'un premier examen de la plainte, le tribunal belge s'est déclaré compétent à connaître de cette affaire dans le cadre de la nouvelle loi du royaume de Belgique donnant aux tribunaux belges de pouvoir juger les crimes de guerre, de génocide et contre l'humanité. L'instruction de l'affaire Sharon est entrée, depuis quelques jours, dans une phase plus active. C'est ainsi qu'un groupe de sénateurs belges avait effectué, à titre privé, un séjour d'information à Beyrouth la semaine dernière à l'occasion duquel ils rencontrèrent l'un des acteurs de la tragédie de Sabra et Chatila: Elie Hobeïka. Celui-ci révéla aux sénateurs belges qu'il se sentait menacé, d'autant, affirment-ils, qu'il était prêt à faire des révélations sur les massacres des Palestiniens en 1982. Se disant «choqué» par cet assassinat, le sénateur belge Vincent van Quickenborne n'exclut pas «le lien» entre le meurtre de Hobeïka et la plainte «engagée» en Belgique contre Ariel Sharon, affirmant: «Pour moi l'assassinat de l'ancien responsable libanais relève d'un règlement de comptes et il est probable que ce meurtre ait un lien avec l'affaire Sharon.» De son côté, Josy Dubie, présidente de la commission justice du Sénat, qui a rencontré mardi, avec ses collègues, Elie Hobeïka, affirme que ce dernier se sentait menacé assurant qu'il avait des «révélations» à faire à propos du massacre. Il ne fait aucun doute, alors que l'instruction de l'affaire Sharon progresse, qu'on ait voulu faire taire l'un des acteurs de la tragédie des camps palestiniens qui en connaît les tenants et aboutissants et aider à déterminer la culpabilité d'Ariel Sharon dont une première enquête du Parlement israélien, en 1983, avait déjà fait ressortir des «liens», fussent-ils indirects, avec les massacres. Certes, le gouvernement israélien a démenti, jeudi, toute implication dans cet assassinat, allant même jusqu'à en accuser la Syrie. Mais quel intérêt avait Damas à protéger le criminel Sharon au moment où l'étau se resserre autour de lui? Et puis, cela fait des années que Hobeïka s'est mis sous la protection du parapluie syrien! Des anciens responsables libanais ayant joué un rôle dans l'occupation, en 1982, d'une partie du Liban par Israël, Elie Hobeïka est l'un des rares survivants après, notamment, l'assassinat, en 1983, de Béchir Gemayel et l'exil en Israël du général Lahad, chef de l'Armée du Liban Sud (ALS). Hobeïka non seulement est demeuré au Liban, mais il a aussi approuvé la présence syrienne. Selon la presse libanaise, Hobeïka avait affirmé avoir remis à ses avocats «des cassettes dans lesquelles il donnait sa version du déroulement du massacre». Aussi la disparition subite de l'ancien chef de guerre et ministre libanais sert surtout les intérêts du Premier ministre israélien, Ariel Sharon, aujourd'hui sérieusement menacé d'être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans l'affaire du massacre de Sabra et Chatila. Dès lors faire taire Hobeïka était-il devenu vital pour Sharon. Car faut-il vraiment croire aux coïncidences lorsque l'ancien chef de guerre se fait opportunément assassiner quarante-huit heures après avoir confié aux sénateurs belges qu'il avait des choses à dire sur le carnage des camps palestiniens? En effet, pourquoi ses ennemis au Liban auraient-ils attendu plus de quinze ans après la fin de la guerre civile pour se venger? De fait, il y a suffisamment d'éléments qui poussent aujourd'hui à estimer probable l'existence d'un lien entre cet assassinat et l'affaire Sharon. Ce qui devrait inciter à la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale pour déterminer les causes de la mort brutale de l'ancien ministre libanais et, partant, éclairer les tenants et aboutissants de l'affaire du massacre des camps palestiniens. A contrario, l'assassinat d'Elie Hobeïka doit rouvrir le dossier et relancer l'enquête sur le massacre d'autant qu'aujourd'hui il existe une instance judiciaire internationale, le tribunal de Bruxelles, déjà en charge de la plainte de rescapés palestiniens de Sabra et Chatila.