Main dans la main, ils chantent l'hymne allemand. Ce n'est plus l'époque où les Allemands cultivaient un sentiment de culpabilité par rapport à l'Histoire. Tant de choses ont été dites et écrites sur l'Allemagne. Mais on a beau avoir tout lu et tout entendu, on n'a encore rien vu avant d'avoir mis le pied sur le territoire germanique. Il suffit d'y être pour vivre et découvrir un autre visage de l'Allemagne. Si le Mondial 2006 revêt un cachet exceptionnel en matière d'organisation, cette plus grande festivité sportive de la planète a dévoilé aussi la face cachée des Allemands. Autrement dit, ce Mondial est une occasion pour les Allemands de se «réconcilier» avec eux-mêmes d'abord, et vis-à-vis du monde extérieur en second plan. Sur le premier point, la Coupe du monde tombe à pic pour les Allemands afin d'enterrer leur passé, d'enrichir le présent et de décorer leur avenir. Après la Seconde Guerre mondiale et la division du pays en Allemagne de l'Est et Allemagne de l'Ouest, les gens avaient toujours du mal à montrer leur fierté, parce qu'ils cultivaient un sentiment de culpabilité par rapport à l'Histoire. On raconte ici, en Allemagne, que d'habitude on ne voyait pas, durant les années passées, des gens qui défilaient dans les rues avec le drapeau national allemand dans les mains. Et ce, même lors des différentes festivités internationales organisées dans ce pays. «Même lorsqu'on a remporté la Coupe du monde, organisée en Allemagne, en 1974, les gens ne sont pas sortis dans les rues pour fêter l'exploit. Les scènes de joie étaient très discrètes», témoigne Thomas (54 ans), un ancien journaliste. Et d'ajouter: «Et ce n'est pas le cas actuellement, vous avez constaté, vous-mêmes, les grandes manifestations de la population allemande.» Aux couleurs allemandes Le constat de notre interlocuteur est réel. En se baladant dans les grandes villes de Munich, Hanovre, Berlin et Dortmund, on remarque que tous les cafés, les restaurants et les immeubles sont décorés aux couleurs du drapeau national allemand. Au début du Mondial, il était accroché timidement sur les balcons. Au fil des victoires des coéquipiers du capitaine Ballack, le drapeau de l'Allemagne a fait ses boutures sur les toits des voitures avant de fleurir sur les poitrines des Allemandes ou sur le dos des Allemands. Actuellement, même si la National-Mannschaft ne joue pas, les supporters sortent dans la rue pour les défilés. Dans les bureaux au travail, dans les stations de métro et dans les universités, les Allemands portent les trois couleurs nationales. Actuellement, la jeunesse allemande veut tourner la page du «fantôme» nazisme, et d'ouvrir une nouvelle page d'amour et de tolérance. Cet engouement a été qualifié par les hauts responsables du pays comme «un indice que le pays continue à se normaliser. La chute du Mur en 1989 n'y avait pas suffi», estiment-ils. L'autre fait qui a, également, attiré les regards des Allemands, est que contrairement aux années précédentes, les jeunes chantent actuellement l'hymne national avant le match. Car, d'habitude, selon les mêmes interlocuteurs, ils le sifflaient. «Je vous témoigne que cela est nouveau dans l'histoire de la jeunesse allemande. Des gens qui ne se connaissent même pas assis côte à côte, la main dans la main et chantent l'hymne allemand ensemble. On n'avait pas vu ça depuis...belle lurette», témoigne Roussel, un ami de Thomas, qui comparait cet enthousiasme à celui exprimé lors de la chute du Mur et la réunification de l'Allemagne. Cette question nous l'avions posée à quelques jeunes supporters rencontrés dans ces villes. Pour eux, chanter l'hymne national ne sort pas de l'ordinaire. «Comme les Français, les Anglais, les Brésiliens, ont, tous, soutenu leurs équipes respectives en chantant leur hymne national. Moi aussi, j'en fait de même. Il n'y a rien de grave, non? C'est un signe pour dire que je suis fière de porter les couleurs de l'Allema-gne», explique avec spontanéité, Mélanie, une jeune de 19 ans, enveloppée dans le drapeau national. Cette question de «la naissance du nouveau patriotisme allemand» occupe une grande place dans les discussions de la classe intellectuelle du pays. Durant toutes les années passées, l'Allemagne a toujours été beaucoup prudente avec le phénomène du nationalisme. Un débat revient sur le devant de la scène à l'occasion de ce Mondial. Beaucoup d'intellectuels s'interrogent sur ce «nouveau» patriotisme. L'historien Paul Nolte note qu'il ne faut pas y voir la tentation de gommer d'un trait le passé. Mais il est de bon ton aujourd'hui de souligner le fait d'être Allemand «pour reconnaître notre responsabilité historique». Dans la rue allemande, on prononce un autre discours. «Le message du peuple allemand à la classe politique est clair: vous continuez dans vos analyses politiques, et nous, nous voulons tout simplement une nation tolérante qui tend la main aux autres. Car l'Allemagne a changé depuis la chute du Mur et elle va changer encore», souligne encore Thomas. Pour ce dernier, et son ami Roussel, l'Allemagne ne ressemble décidément en rien aux idées qu'ils en avaient. Elle est loin du pays rigide, sévèrement ordonné et un peu distant qui avait organisé la Coupe du monde en 1974. De son côté, la presse allemande a accordé une grande importance à cette question. «Ce n'est pas l'amour du pays qui est nouveau. Ce qui l'est, c'est l'affichage en public de ce sentiment», a noté, par exemple, le quotidien Berliner Zeitung. Tourner la page Ce qui confirme le désir de la nouvelle génération de tourner la page de son histoire nazie, c'est l'hospitalité et l'accueil chaleureux réservés aux étrangers par toute la jeunesse allemande. Cet enthousiasme est interprété comme un signe que les Alle-mands veulent se réconcilier aussi avec le monde extérieur et effacer l'image d'une Allemagne un peu coincée et rigide. Les visiteurs qui viennent en Allemagne, ont constaté la politesse et l'hospitalité du peuple allemand. Sans distinction aucune par rapport aux couleurs des visages, ni aux croyances, les Allemands dispensent des leçons de gentillesse. Le sourire sur toutes les lèvres. L'aide, l'information et l'orientation dans chaque quartier. Côte à côte, la main dans la main, on chante, on supporte et on déguste ensemble une chope de bière allemande et...on s'embrasse. Même les services de sécurité partagent ces moments d'ambiance avec les civils en toute décontraction, notamment lorsqu'il s'agit de danser avec les Suédoises ou les Anglaises. Lors de la rencontre Allemagne-Pologne, les supporters des deux camps, notamment les Allemands, ont surpassé la sensibilité historique qui existe entre les deux pays. Ils ont partagé la même chope de bière en toute harmonie. «Le passé est passé, ça ne sert à rien d'y revenir, on vit notre présent tout en pensant à l'avenir des générations qui viennent», souligne Tanjui (27 ans), un étudiant polonais. Une chose est sûre, un visiteur qui vient avec l'esprit de «l'ancienne» Allemagne, sera sûrement surpris de découvrir que les mentalités ont beaucoup évolué et la nouvelle génération est très ouverte sur le monde et c'est ce qui fait de l'Allemagne d'aujourd'hui un pays moins crispé, qui se dirige pas à pas vers la tolérance. A ce propos, une exposition de la Ronde des ours, «United Buddy Bears», est organisée dans la cour de l'Opéra, avenue Unter Den Linden, à Berlin, portant le message de la tolérance. Cette exposition est organisée sous le thème «Il faut mieux se connaître pour se comprendre, pour avoir confiance les uns dans les autres et pour vivre ensemble». En effet, côte à côte, 142 ours représentant autant de pays, dont l'Algérie, forment un cercle pacifique. Chaque ours, haut de deux mètres, a été dessiné par un artiste originaire de ces pays. Il représente les couleurs et les symboles typiques de la culture nationale, sans considération de couleurs ni de croyances. Ce qui témoigne, également du vouloir allemand de réécrire une nouvelle page dans leur histoire, c'est les résultats obtenus par l'extrême droite lors des différentes échéances électorales organisées ces dernières années. «Il ne reste aux quelques partisans de l'extrême droite que de rendre les armes et de s'aligner à la nouvelle politique de cette nouvelle génération», confirme encore Thomas. Et de rappeler que «l'extrême droite n'a obtenu même pas 1% lors des dernières élections». Enfin, l'Allemagne en 2006 s'amuse sans complexe côte à côte avec les étrangers, les supporters chantent l'hymne national, et ça fait quelque chose de voir les Allemands, fiers de leur équipe, de leur pays. Et surtout qu'ils essayent d'oublier le passé. Et tant mieux pour l'image de l'Allemagne.