Par Abdelkader KHELIL* Comparée aux autres spéculations pratiquées, la canne à sucre qu'on cherche à introduire pour la première fois au Sud, précisément à Ouargla, est parmi les cultures qui valorisent le moins bien l'eau d'irrigation (0,7 à 0,8 kilo de sucre par mètre cube d'eau), nous précise ce chercheur marocain, soit environ 8 à 9 tonnes de sucre à l'hectare. En Algérie, avec un taux de sucre de 90%, le rendement du palmier dattier serait de 18 à 20 tonnes de sucre à l'hectare, avec en plus entre les rangées de palmier, des cultures vivrières. C'est dire qu'il n'y a pas photo! Encore faut-il préciser que dans les conditions pédoclimatiques d'Oued Guir, si cette culture venait à être introduite comme indiqué par le site du ministère de l'Agriculture, avec une évapotranspiration élevée, la consommation d'eau de la canne à sucre serait nettement plus élevée que dans le Nord du Maroc (20.000 à 25.000 mètres cubes d'eau à l'hectare). De même, le risque de salinisation serait plus élevé que celui induit par la pratique intensive de céréales. Ce qu'il faut dire pour mettre un terme à une polémique qui n'a pas lieu d'être, c'est que le palmier dattier, cette culture bénie, parfaitement adaptée à son biotope, n'a guère trouvé la culture industrielle qui puisse la détrôner, n'en déplaise à ceux qui font des plans sur la comète. Basta! Ils n'ont qu'à refaire leur copie et revoir leur compte! Ceci d'autant plus, qu'au-delà du fait qu'elles sont trop consommatrices d'eau non renouvelable, les cultures industrielles qu'on cherche à introduire nécessiteront de grandes quantités de pesticides et d'engrais azotés, d'où une pollution de la nappe et de grands risques sanitaires pour les populations locales. Le sucre principal de tous les fruits, le fructose présent bien plus dans la datte que dans les autres fruits, a un pouvoir sucrant supérieur de 20 à 40% à celui du saccharose extrait à partir de la canne à sucre et la betterave. L'index glycémique du fructose est également plus intéressant sur le plan nutritionnel (vous diront les endocrinologues). Il faut dire aussi, que bien installé depuis des millénaires dans son milieu de prédilection, le palmier dattier, notre fameux «phoenix dactylifera» représenté à l'international par la Reine des Reines, la Deglet Nour, est mieux placé que la canne à sucre et la betterave qu'on cherche à introduire aveuglément. La canne à sucre rappelle l'esclavage Toujours dans la précipitation, sans expérimentation préalable, sans mesure d'impact sur l'équilibre de l'écosystème oasien, l'on oublie qu'avec le mais et le coton aussi, ces cultures sont plus exigeantes en eau que le palmier dattier (13.000 à 15.000 mètres cubes d'eau à l'hectare). À raison de 25.000 mètres cubes d'eau à l'hectare, pour 1.000 hectares de canne à sucre, la consommation jusqu'à la récolte de 25 millions sur six mois, représente trois fois la capacité du barrage du Meffrouch (8 millions de mètres cubes) qui alimente la ville de Tlemcen et ses environs. Que dire aussi de la canne à sucre, sinon, que sa coupe rappelle le triste souvenir de la période d'esclavage des «kounta kinte». Pour celui qui veut se donner la peine de s'informer, il apprendra par exemple, que dans l' île de la Réunion, même mécanisée, cette culture n'attire plus de jeunes agriculteurs en raison du manque de main-d'oeuvre. Comment faire à Ouargla, lorsqu'on sait qu'il est déjà difficile de trouver une main-d'oeuvre locale pour la pollinisation du palmier dattier? Alors, arrêtons de faire de mauvaises projections sans études préalables! Arrêtons d'hypothéquer des ressources en eau non renouvelables! Et puis! Pourquoi chercher ailleurs et prendre un risque inutile en matière de consommation excessive en eau, de salinisation et de rupture d'équilibre d'un écosystème sensible, quand la solution est à portée de main? Cette solution se trouve à Biskra, dans la raffinerie réalisée en 2016 par un groupe industriel privé, en coopération avec une firme italienne, pour un investissement de près de trois millions d'euros. Première du genre, cette unité a commencé à transformer en sucre, des dattes de toutes les variétés déclassées, impropres à la consommation en l'état et qui étaient vouées à la déchetterie. Cette raffinerie du sucre de dattes est entrée en production, fin octobre 2017. Elle a été inaugurée le 2 décembre 2017, à l'occasion du Salon de la datte. À partir de dattes desséchées et sans valeur marchande, du fructose, sucre liquide (non cristallisé pour ne pas perdre ses vitamines) est produit ainsi que de la confiture, du sirop «rob», du sucre pour produits laitiers et jus, de l'alcool chirurgical très demandé. On peut aussi produire dans cette usine, de l'aliment de bétail qui peut favoriser le développement de l'élevage caprin pour la production de lait cru et sous-produits laitiers pour le besoin de la paysannerie oasienne, dont le modèle de consommation reste déficitaire en protéines animales... Selon son propriétaire, cette usine exporte déjà toute sa production vers le Canada et l'Europe, sans pour autant satisfaire toute la demande qui exige un accroissement des capacités à multiplier par quatre, sans compter les besoins du marché intérieur. «Notre carnet de commande est déjà saturé et six pays étrangers ont émis le souhait d'acheter toute la production de sucre liquide, conditionné dans des fûts de 200 litres», a déclaré Salah Eddine Chadli, gérant de cette Sarl innovatrice. À noter que le baril de sucre de dattes vaut sur le marché international 500 dollars et que 80% de la production de sucre sont destinés à l'exportation. Le sucre produit localement est utilisé aussi, pour des préparations culinaires et pharmaceutiques. Sans rentrer dans les détails scientifiques Dans un second temps, cette usine produira à partir de noyaux de dattes, du charbon actif utilisé dans les filtres d'eau, un produit jusque-là importé à coups de millions de dollars. Ainsi, les agriculteurs de la région n'auront plus à se soucier de l'écoulement de leurs dattes de moindre qualité et engrangeront de subsidiaires revenus, est-il souligné. Tout cela, sans porter aucune atteinte à l'écosystème fragile qui, à travers ce type d'initiative prise dans le domaine de la transformation agroalimentaire, constitue une opportunité d'amélioration de l'offre d'emplois. À ceux qui veulent bien regarder autour d'eux dans nos universités et plus précisément à Ouargla sans faire dans l'excès de volontarisme injustifié, ils pourraient voir qu'il est possible de fabriquer aussi, des levures alimentaires à partir de sucres de dattes déclassées d'où cet autre intérêt économique de valorisation de sous-produits de la datte, dans la continuité des produits déjà ciblés par la raffinerie de Biskra. En effet, il a été démontré dans cette université jamais sollicitée, que les milieux de culture à base de dattes donnent de bons résultats. Les rendements sont plus élevés par rapport aux autres milieux classiques de fermentation à base de mélasses (betteraves), est-il précisé! Je m'arrête ici, pour ne pas rentrer dans plus de détails scientifiques, au risque d'ennuyer les lecteurs de cet article. Et puis! S'est-on demandé, pourquoi les seuls investissements réalisés par les colons dans le Sud, ne l'ont été que dans le domaine de la phoeniciculture et dans les unités de conditionnement à Touggourt et à Ouargla? Pour tout le reste des cultures industrielles, c'est la station de recherches de «Ferme Blanche», «Sidi Abdelmoumen» à Mohammedia dans la wilaya de Mascara, au niveau de la plaine de Habra attenante à celle de Sig, qui était à la pointe des travaux d'expérimentation sur le comportement des cultures sur sols salés, et notamment, sur le coton dont un certain nombre de variétés ont été créées localement, sur le riz, le carthame... Mais qu'en reste-t-il aujourd'hui? Gardons-nous des esprits aventuriers comme ceux de triste souvenir qui nous ont grugés! Faisons d'abord une sérieuse mise au point sur tout ce qui a été entrepris jusque-là, en bon ou mauvais! Allons-y sereinement vers un développement durable, qui garantit la préservation des intérêts des générations futures! Nous n'avons pas le droit de prendre cette question de la sécurité alimentaire à la légère, sans avoir pris la précaution d'associer tout ce que compte comme capacités de réflexion et de forces de propositions en notre pays, ici et ailleurs, si nous voulons réellement changer l'ordre des choses. *Professeur, chercheur au Centre technique des cultures sucrières de l'Ormva du Gharb