L'hôtel face aux ruines romaines de Timgad, une importante infrastructure en fait partie. Cet hôtel est important et nécessaire, car il répond à plusieurs enjeux qui traversent actuellement le champ culturel dans notre pays. Aujourd'hui, hélas, ni la culture, ni les fonctionnaires au tourisme, ni la banque chargée du suivi de sa finition ne se sont rendus compte qu'il est temps de sauver cet hôtel à présent abandonné aux vents et aux pluies. Délaisser cette partie essentielle dédiée a la culture, au tourisme de qualité et de la musique, c'est délaisser nos ressources créatives, certaines remettant le propriétaire au statut de simple artiste. N'est-il donc pas important de lui donner la parole rien que pour voir la manière dont s'articulent son expérience de vie singulière et son itinéraire professionnel? Le propos n'est pas de penser à sa place, mais d'offrir un espace de dialogue à des personnes créatives pour déployer leurs propres chaînes de sens. Il s'agit de leur permettre de partager leur analyse, de revenir sur la manière dont ils doivent comprendre leur parcours, en s'interrogeant sur leurs choix du développement touristique. Depuis plusieurs années maintenant, l'hôtellerie de qualité a produit des théories. Lesquelles théories visaient à éclairer le vécu des professionnels qui ont déboursé des fortunes dans le secteur touristique, mais pour leur malheur, ils ont été abandonnés aussi bien par les autorités que par leurs sponsors autoproclamés. Dans l'affaire, ce sont des dégâts financiers immenses qui ont été accusés. À ce titre, l'hôtel de Timgad en attente de sa finition aide à penser et à éclairer sur ce problème vécu par nombre d'investisseurs dans ce secteur. Cet hôtel a été élaboré dans un style typiquement artistique qui n'était pas destiné à être abandonné, surtout que Timgad c'est aussi un pan de l'histoire romaine et surtout un patrimoine musical, à savoir les festivals de Timgad Si l'hôtel de Timgad restait encore à l'abandon, il laisserait une empreinte irréversible, qui endommagera définitivement les capacités du festival musical de Timgad. Plus grave encore, les dégâts seront immenses sur le propriétaire de cette infrastructure qui a déboursé la faramineuse somme de 80 milliards de centimes de ses propres fonds. Un investissement de 80 milliards Bien qu'il puisse certainement expliquer les difficultés administratives et démarches maintes fois effectuées et tant de fois remises aux experts concernés, l'endroit reste pour autant abandonné. Ce qui donne un non-sens à sa vie et ses efforts de réalisateur investisseur dans un domaine pourtant prometteur. Pourtant, le bénéfice d'une telle réalisation est précieux, car elle déculpabilise à juste titre le capital du festival de la musique qui traverse des difficultés. Toutefois, si cet hôtelier admet l'idée d'avoir été définitivement blessé par l'abandon, il dit aussi combien il ne souhaiterait pas être réduit et assigné à une identité de blessé. Il se sent en effet marqué par l'abandon mais pas uniquement sur un mode négatif. Car il évoque les bénéfices qu'il tire de son beau parcours singulier et multiplie les récits résilients. Il assure qu'ils sont plusieurs à vivre une hyper-incapacité d'écoute, de compréhension et d'empathie liées à l'histoire du tourisme et qui équiperait la personne de quelque chose en plus. Ainsi, là où les sponsors peuvent évoquer les effets délétères de la perte ou de la fermeture de ce qui les attache dans cette profession, la personne adoptée peut, à un certain moment de sa vie, ressentir l'absence de liens comme une liberté féconde. Au final, être dans ce secteur, c'est pouvoir énoncer deux manières de se représenter l'abandon, et considérer que les deux sont vraies: le vivre à la fois comme une blessure, une perte sèche des fonds financiers et parallèlement comme une liberté, une ressource, une opportunité de comprendre qu'il a investi dans un tissage de nouvelles conceptions peut-être... La question de la créativité est commune pour toutes les personnes qui traversent un abandon puis une adoption, car ces événements commerciaux agissent comme des contraintes à se construire une identité singulière, sans modèle préalable. Si être abandonné, c'est devoir «se forger soi-même», recoudre les vides, les trous financiers, et réparer les absences de l'aide de l'Etat. La blessure d'un homme... Des aides moult fois promises. Les ruptures, les discontinuités, dans les contraintes à mobiliser les ressources créatives pour grandir et les investir dans la construction de leur devenir. De tous ces tracas en plus d'une famille de huit personnes à prendre en charge, le propriétaire n'est pas au bout de ses déboires. Ainsi, surgit la contrainte supplémentaire de penser la question de son sauvetage et par conséquent de la dette envers sa ville et son oeuvre, que beaucoup envient. Les artistes préfèrent penser qu'ils doivent leur existence à eux-mêmes et déplacent les enjeux de sauvetage dans leur oeuvre et leurs espoirs. C'est la nature du travail physique qui lui permet d'articuler les différentes facettes de son identité personnelle. Un peu comme une mosaïque qui fait tenir ensemble des éléments composites pour produire une oeuvre inédite et unique. La nécessité de créer un hôtel similaire dont les gros ouvres sont terminés à 100% et qui nécessite une belle finition digne de son design s'impose pour pouvoir se reconstruire, se penser, et se recomposer une identité. Une manière également de redonner à Timgad son identité musicale et touristique, pour inventer des relations inédites et singulières, avec le tourisme culturel. Puis avec la personne qui vous a mis dans cette région, avec qui on a «une relation unique que l'empereur Trajan a inventé un peu chaque jour». Cette capitale romaine qui se déploie de manière à produire une succession de récits intérieurs de l'histoire et qui dégagent des possibilités d'existence: «Je suis Timgadus fruit de la puissance romaine issu d'une filiation glorieuse.» Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que M. Cherif Menaceur se saisisse de toute une pluralité de dispositifs narratifs créatifs auxquels il s'identifie. Ça lui permet d'abord de se raconter en faisant «tenir ensemble» des récits intérieurs tout en restant soi. C'est-à-dire le Chaoui fier de ses outils narratifs répondant à la nécessité d'innovation et de création. Il est ensuite investi pour raconter le monde romain d'où il est natif. Sa position de fils des Aurès se situant à l'interface entre les mondes trace une voie d'hôtelier, d'investisseur et de diplomate. Ce qui fait de lui un témoin privilégié dans le domaine de l'histoire et de l'art. Son oeuvre, son hôtel, est destinée à la culture et à la musique ainsi qu'au tourisme, avec un enjeu de reconnaissance qui, lorsqu'elle sera obtenue, apaisera en donnant une place sociale.