Dans l'entretien qui suit, le rédacteur en chef adjoint de France 3 Rhône-Alpes-Lyon, Alain Fontan, revient sur ce thème en prenant l'exemple de la crise des banlieues, née à la fin du mois d'octobre 2005. L'Expression: La crise des banlieues françaises a été l'un des sujets délicats auquels les chaînes de télévision françaises étaient confrontées. Comment y avez-vous fait face à la rédaction régionale de France 3 Rhône-Alpes? Alain Fontan: Même pour les journalistes de l'actualité quotidienne, il convient de replacer les émeutes de novembre 2005 dans le contexte des vingt-cinq dernières années. Il s'agit, notamment, de citer les épisodes violents, dans la banlieue de Lyon, au début des années 1980 (les rodéos automobiles des Minguettes) et des années 1990 (l'émeute de Vaulx-en-Velin). Des événements dramatiques déjà fortement médiatisés. Depuis, la scène urbaine n'est pas vide ; elle est remplie d'un mélange d'action publique (la politique de la Ville) mais aussi de révoltes et de délinquance se prêtant aux interprétations les plus disparates. C'est pourquoi, lorsque des voitures brûlent, en banlieue, le réflexe immédiat n'est pas de s'y précipiter. Le tournage d'un incendie de voitures ne peut, à lui seul, reconstruire l'événement dans son ampleur. On se retrouve face à un problème complexe sur la signification de cette violence urbaine apparemment ludique et sur d'éventuels détournements de sens. D'une certaine manière, nous aurions à considérer l'image véhiculée par la télévision comme l'unique langage des jeunes à l'origine des incendies. Quelles étaient les directives données dans la rédaction de France 3 pour gérer cette crise? Dans ce contexte de tension, nous savions qu'il était difficile de faire parler les acteurs de la violence, de les lancer dans une reconstruction narrative de leur réalité. Cette absence de codification verbale, cette absence de témoignage n'était pas sans conséquence lors des conférences de rédaction, avec de vifs débats sur le traitement au jour le jour de la crise. Considérant la violence observable, on était tenté de convertir cet événement particulier en phénomène social. L'objet de la protestation n'était-il pas le monde des institutions et du pouvoir, le monde des adultes, ou celui de l'argent? On casse des écoles, des commerces, des commissariats, on brûle des voitures...D'où cette question, toujours exprimée par les confrères, lors de nos conférences: quel est le statut de ces événements? Le refus des institutions, la contestation d'un modèle social inachevé, les effets durables de la raréfaction du travail pour les enfants de l'immigration? Il a été nécessaire de nous adapter aux signes évidents (les incendies allumés) d'une crise d'autorité (policiers, justice mais aussi enseignants, conducteurs de bus ou gardiens d'immeubles). Malgré les circonstances, notre mission devait rester la même: informer au jour le jour, édition après édition, tenter de comprendre et d'expliquer, éviter si possible le versant instrumental de la situation, en renonçant, par exemple, à présenter quotidiennement les statistiques des voitures brûlées. En tant que responsable régional de France3, jusqu'où étiez-vous obligé de censurer les images? Censurer n'est pas le mot qui convient. Je vais essayer de vous en persuader. Nous aurions pu diffuser des images d'incendies de voitures pendant les trois semaines de la crise. Une contribution spectaculaire à l'information de proximité qui caractérise le réseau de France3, chaîne de télévision publique, chaîne nationale à vocation régionale. Il s'agit, en réalité, d'une information essentielle mais parcellaire d'un phénomène ayant une autre ampleur: une construction médiatique ayant pour objet de souligner un phénomène de contestation et d'exclusion. C'est vrai, nous pouvions osciller entre deux visées contradictoires : émouvoir par le «spectacle» des incendies de voitures ou favoriser l'explication en proposant des reportages plus éclairants. Passer de l'expression exacerbée de la révolte à la démonstration des mécanismes ayant conduit aux émeutes. Bref, éviter la surmédiatisation des voitures brûlées au profit de l'expertise (non exclusive mais utile) des acteurs sociaux, par exemple. Pas de censure mais au contraire, un élargissement du regard de la rédaction au-delà des foyers incendiaires pour tenter de répondre à cette demande des jeunes qui affirmaient une demande de reconnaissance «pour ce qu'ils sont».