Rachid Bouchareb rouvre une page sanglante de l'histoire commune entre l'Algérie et la France. Le film Indigènes, du réalisateur algérien Rachid Bouchareb, a été projeté hier, en avant-première, à la salle L'Algéria, Alger. Si on demandait de changer le titre à ce film, plusieurs n'hésiteraient à aucun moment à l'écrire, en le soulignant en rouge: Une leçon d'histoire. Car les images sont une leçon que la France officielle semble, sciemment, occulter. Les uns diront, et à juste raison, qu'il s'agit bel et bien d'une page du grand et lourd registre d'Histoire déchirée et que, avec ce film, on vient de réhabiliter. Le film Indigènes, dont la sortie a eu lieu le 27 septembre 2006, revient sur la sanglante, douloureuse et sinistre Seconde Guerre mondiale. Cette guerre même qui a «avalé» pas moins de cinquante millions de vies humaines. Une bonne partie de ce nombre sont des Algériens. L'histoire commence en Algérie, en 1943. L'armée française incorpore les Algériens en vue de les envoyer en Europe pour libérer la France, leur «mère patrie». Jusqu'à cette date, aucun d'entre eux n'avait foulé le sol français, «mais parce que c'est la guerre, Saïd, Abdelkader, Messaoud et Yassir vont s'engager comme 130.000 autres ´´Indigènes´´ dans l'armée française pour libérer ´´la mère patrie´´ de l'ennemi nazi. Ces héros que l'histoire a oubliés vaincront en Italie, en Provence, et dans les Vosges, avant de se retrouver seuls à défendre un village alsacien contre un bataillon allemand». Tous les trois, ils seront plongés dans la gueule du loup. Ils n'hésiteront en aucun cas à plonger, mains et pieds joints, pour sauver la France et, pour ainsi dire, la libérer de l'occupation nazie. «L'heure de l'indépendance a sonné pour la France» insista le sergent Martinez qui harangue les foules. L'heure de l'indépendance a sonné, mais le butin sera chèrement et lourdement payé par tous ces soldats «déportés» des colonies françaises. Le réalisateur revient, dans ce film, et d'une façon minutieuse, sur le vécu des tous ces soldats, venus des colonies, et qui découvrent, non sans amertume, qu'ils sont «ici», sur le sol français pour servir de chair à canon. Car, une fois arrivés sur le terrain, et de par les exactions et injustices commises à leur encontre par leurs supérieurs, ils se rendent compte de leurs véritables identités. Même si le réalisateur le dit à demi-mot, il n'en demeure pas moins que cette réalité est vraiment ressentie. Dans Indigènes, Rachid Bouchareb rouvre une page sanglante de l'histoire commune entre l'Algérie et la France. Il essaie de dire qu'entre les deux pays, une longue histoire de désamours a tissé sa toile, non de ces toiles arachnéennes, mais c'est une toile plus solide qu'on ne peut éliminer d'un revers de la main. «Même si le film parle du passé, on a conscience que l'on parle aussi du présent pour mieux construire l'avenir. Nous sommes contents d'avoir fait ce film, s'il est apprécié tant mieux. Mais dans tous les cas, il permettra de parler d'une chose oubliée, c'est pour cela que nous montrons les marches ce soir avec certains de ces tireurs», a déclaré le réalisateur lors de l'ouverture du festival de Cannes. Ce film, faut-il le rappeler, a décroché le prix de la meilleure interprétation masculine lors dudit festival. Sans verser dans la légèreté, le réalisateur décrit, ingénieusement, la misère endurée par ces «indigènes». Le tout est couronné par une musique signée Khaled et Armand Amar.