«Je voulais mettre des mots sur ma douleur qui est aussi celle des autres», confie Habiba. La filmothèque Mohamed-Zinet en collaboration avec l'association Chrysalide a organisé, jeudi dernier, la projection du film documentaire de Habiba Djahnine, Lettre à ma soeur. Un film émouvant dans lequel la réalisatrice répond à sa soeur par une lettre filmique posthume où elle rend hommage à son combat pour le droit des femmes. Nabila Djahnine, ma soeur, a été assassinée le 15 février 1995 à Tizi Ouzou, une ville importante de la Kabylie. Nabila était présidente de l'Association de défense et de promotion du droit des femmes Thighri N'tmettouth (Cri de femme) basée dans cette ville. En 1994, Nabila m'avait écrit une lettre, elle me racontait l'escalade de la violence, la répression, les assassinats, les espoirs si maigres et son désarroi face à l'action quasi impossible en ces années de plomb. J'étais alors partie vivre pour quelque temps dans une ville du Sahara algérien. Dix ans après l'assassinat de Nabila, je retourne en Algérie pour faire ce film. Lettre à ma soeur est ma réponse à sa lettre de 1994, une manière de raconter ce qui s'est passé depuis dix ans. Je veux retourner sur les lieux pour voir ce que sont devenus Tizi Ouzou et les gens qu'elle connaissait et avec lesquels elle militait. Je veux leur demander pourquoi l'assassinat et le massacre de civils sont devenus les seules réponses au conflit qui opposent les Algériens? Pourquoi le dialogue est-il devenu impossible?, s'interroge la réalisatrice. Onze ans après ce crime abject, Habiba retourne sur les lieux, comme si c'était hier, et part à la rencontre de ses anciennes amies, ces militants, soeurs et frères, qui ont combattu le terrorisme et se remémore en groupe l'oeuvre de sa soeur qui se confond avec sa vie. «Mon idée n'est pas de retracer le parcours de Nabila, mais de raconter et reconstruire les circonstances de sa mort et constater tous les dégâts occasionnés autour. Aujourd'hui, des familles qui sont abandonnées, vivent seules leur deuil. Je voulais aussi mettre des mots sur ma douleur qui est aussi celle des autres», confie Habiba Djahnine, debout et émue, lors du débat qui a suivi la projection. Présent à cette manifestation, Boudjema Karèche, l'ancien directeur de la Cinémathèque, ne fera que souligner la juste démarche de cette «grande modeste» qui a tenté de rendre compte d'un drame collectif qui mérite d'être applaudi. Important à plus d'un titre, ce film utile, l'est doublement. D'abord pour saluer la mémoire de cette battante et puis par la volonté de perpétuer son combat pour l'émancipation de la femme. Deux idées cruciales se dégagent du film: maintenant, il faut cesser de se comporter comme des victimes et agir, et, au-delà du crime terroriste perpétré contre les femmes, il y a une attitude encore plus ancrée dans les mentalités, celle du crime d'honneur dont Nabila fait montre, à la fin du film. Aussi, aujourd'hui plus que jamais avec le constat affligeant qu'on fait, en jetant juste un regard sur ce qui se passe dans la rue, la femme, plus qu'hier, est devenue la cible privilégiée de toute forme d'agression, qu'elle soit physique ou verbale. Elle est en butte à une société de plus en plus malade et, en fait, les frais quotidiennement. Une montée en puissance de la haine contre la femme est constatée, ça et là, et va crescendo. Et personne ne pourra dire le contraire. Est-ce dû à une mauvaise éducation généralisée? Sans oublier, bien sûr, tous les dangers auxquels elle est confrontée et qui la guette indubitablement, de par son statut, justement celui-là, cette fois en corrélation avec toute une politique rétrograde...Lettre à ma soeur est d'une capitale clairvoyance, en effet, et d'une grande actualité, hélas, qui mérite d'être projeté plusieurs fois. Malgré les quelques lenteurs qui émaillent le film pourtant, celui-ci donne sérieusement à réfléchir. Un documentaire fait dans la douleur, mais dont la réalisatrice se doit d'en tirer, toute cette fierté d'avoir réussi à transmettre un message qui, lui, n'est pas mort mais ô combien vivant! Et c'est pour le transmettre justement, que Habiba Djahnine est devenue, depuis 2003, la déléguée générale des rencontres cinématographiques de Béjaïa qui font revivre le cinéma algérien pour asseoir une mémoire collective et pouvoir avancer sereinement.