La Présidente de l'Inde, Mme Droupadi Murmu, en tournée africaine qui concerne la Mauritanie et le Malawi, visite, en première étape, l'Algérie du 13 au 15 octobre 2024. Cette tournée est de dimension stratégique pour le renforcement des liens et des partenariats avec le continent africain dans le but de soutenir la croissance de l'Inde et par voie de conséquence le développement économique mondial compte tenu du fait que l'Inde fait partie des puissances économiques émergentes. En termes d'analyse, la dimension stratégique de cette tournée africaine de la Présidente de l'Inde a lieu au moment où l'Union africaine est admise en tant que membre permanent du G20. Il est clair que ces trois pays n'ont pas été choisis au hasard dans cette approche indienne de conquête du continent africain qui devient depuis plus d'une décennie convoité par des acteurs de puissances en compétition aussi bien du «Sud global» que du «Nord global». En effet, l'Algérie est vue comme le pays d'arrimage pour son positionnement géostratégique avec ses profondeurs méditerranéennes, nord-africaines, sahéliennes et subsahariennes en plus de ses réserves en ressources gazières et en minerais critiques (terres rares) destinés à l'industrie alternative dé-carbonée, à la conversion énergétique et au développement, voire à la révolution technologique. S'agissant de la Mauritanie, le choix a dû se faire, incontestablement, en prenant en considération le fait qu'elle assure actuellement la présidence de l'UA et que ce pays est riche en minerais stratégiques et critiques (fer, cuivre, or, lithium, phosphate, diamants, etc.) en plus de ses dernières découvertes de gisements pétrolifères. En ce qui concerne le Malawi, ses liens sont profonds compte tenu de son appartenance au Commonwealth dans lequel l'Inde joue un rôle de premier ordre et également qu'il regorge de ressources naturelles stratégiques (uranium, niobium) nécessaires à l'industrie alternative indienne. Du point de vue de la perspective, la dynamique politico-diplomatique de l'Inde reflète l'ambition de ce pays qui représente un contrepoids économique certain de la Chine dans différents groupes régionaux et, notamment au sein du club des BRICS, de s'inscrire dans la logique de «multi-alignement», concept développé par le Premier Ministre Modi par extension au concept de «non-alignement» du Premier Ministre Nehru. Cette approche s'articule dans le cadre de la reconfiguration de la cartographie géopolitique et géoéconomique planétaire qui se veut multipolaire. L'Inde tente de se positionner de facto comme la voix du «Sud global» et comme le nouveau moteur de croissance du monde. Par voie de conséquence, le timing de cette tournée africaine de la Pprésidente de l'Inde n'aurait pas pu être mieux choisi. Dans cette équation diplomatico-stratégique de l'Inde, l'Algérie en est le pivot. En effet, cette visite en Algérie de la présidente Droupadi Murmu à forte symbolique est marquante du fait que la dernière visite d'un chef d'Etat Indien remonte à près de quarante ans. La coopération bilatérale est axée depuis longtemps vers les secteurs, notamment, du commerce, de l'éducation, de l'industrie, de la défense, du spatial, de la technologie, et de l'énergie. Aussi bien pour l'Inde que pour d'autres acteurs de puissance, l'Algérie, est considérée comme un acteur incontournable dans ce qui est dénommé en relations internationales «l'aire d'intérêt spéciale» combinant la Méditerranée occidentale et sa profondeur subsaharienne. De plus, la diplomatie de principe de l'Algérie qui ne l'a pas troquée pour une diplomatie d'intérêt mettant en exergue l'émancipation de l'Afrique fait d'elle un pays central dans toute stratégie de positionnement de ses partenaires sur le continent africain. La vision de l'Algérie qui appelle à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies qui est présentement en inadéquation avec le contexte post-Covid-19 et de son élargissement ainsi que la création d'un nouvel ordre économique et financier mondial plus juste et équitable rejoint celle de l'Inde, qui plaide, également, pour un système international moins dominé par le «Nord global». Les deux pays partagent aussi une vision d'un monde multipolaire et l'Algérie en constitue un pour l'Inde son partenaire stratégique. Raffermissement de la coopération bilatérale Indépendamment des enjeux géopolitiques, cette visite de la Présidente de l'Inde en Algérie va incontestablement permettre de renforcer la coopération économique et technologique entre les deux pays qui cadre parfaitement avec le processus de diversification de l'économie algérienne. Présentement, les échanges bilatéraux entre l'Inde et l'Algérie ont atteint environ 1,5 milliards d'USD en 2023. Les principaux produits importés par l'Algérie d'Inde sont le riz avec une valeur de 126 millions d'USD, les biens d'ingénierie pour une valeur de 104 millions d'USD, les produits pharmaceutiques pour 70 millions d'USD, les produits chimiques organiques pour 60 millions d'USD et les plastiques pour 51 millions d'USD. Les principaux produits d'exportation de l'Algérie vers l'Inde sont les combustibles et huiles minéraux, les engrais, les déchets de papier et de carton. Par ailleurs, plusieurs entreprises indiennes opèrent en Algérie, comme l'indiquent les projets pilotés par Engineers India Ltd et IRCON International. L'accord récent entre Oil PSU EIL et Sonatrach pour la relance de l'unité pétrochimique de Skikda illustre clairement le raffermissement de cette coopération bilatérale. Toutefois, les deux pays aspirent à intensifier leurs efforts pour diversifier leurs échanges commerciaux et renforcer les capacités de compétences technologiques de l'Algérie. «L'Inde sera le moteur de la croissance mondiale», avait déclaré le Premier ministre Modi lors d'une visite en Afrique du Sud en août dernier. À la fin de 2023, l'Inde avait consolidé son rang de grande économie à la croissance la plus rapide au monde autour de 8,4%. Selon plusieurs institutions financières, dont la banque d'investissement américaine «Morgan Stanley», l'Inde est en voie de dépasser l'Allemagne et le Japon pour devenir la troisième économie mondiale d'ici 2027. Première armée du monde Ce qui est remarquable, c'est qu'en 1947, lorsque l'Inde avait accédé à son indépendance, c'était l'un des pays les plus pauvres du monde. Des décennies de colonisation britannique avaient laissé ce pays avec des infrastructures désuètes et une industrie agricole incapable de subvenir à sa population croissante. À cette époque, l'espérance de vie en Inde était de 35 ans alors qu'aujourd'hui elle a doublé pour atteindre 67ans, selon la Banque mondiale. Selon la même institution financière, l'Inde est le 10ème pays exportateur mondial dont ses principales exportations sont le pétrole raffiné, les diamants et les médicaments génériques. Son boom économique a été stimulé par son industrie de services florissante et le développement du secteur des télécommunications et des logiciels. Toutefois, les experts notent que la création d'emplois n'a pas suivi le même rythme. Selon une note de conjoncture de la banque Hsbc, l'Inde devrait créer 70 millions d'emplois au cours de la prochaine décennie à mesure que sa population augmente, mais il est peu probable qu'elle en génère plus d'un tiers. Du point de vue géopolitique, depuis de nombreuses années, les pays occidentaux espèrent que l'Inde devienne une force d'équilibre face à l'influence de la Chine en Asie. En plus d'être un Etat doté de l'arme nucléaire, l'Inde possède la deuxième armée du monde, avec 1,45 million de soldats actifs. Mais l'Inde ne se comporte pas toujours comme l'Occident le souhaiterait. Au cours des deux dernières années, elle a été critiquée pour sa neutralité dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine et pour avoir acheté du pétrole russe à des prix réduits malgré les sanctions occidentales contre Moscou. Face aux multiples tensions mondiales post-crise pandémique de Covid-19 qui affectent les flux commerciaux, le coût des transports, la production et alimente l'inflation à l'échelle mondiale, la croissance actuelle de 7% de l'Inde laisse interrogatif. L'Inde est engagée depuis le début des années 1990 dans un processus de libéralisation économique, qui a conduit à une accélération de son taux de croissance à près de 8-9% pendant l'essentiel de la première décennie du XXIe siècle. Elle s'est de la sorte imposée comme un grand marché émergent, même si son taux de croissance s'est récemment contracté à 5-6%. L'ouverture du marché indien s'est traduite par une intensification des échanges avec les grands pôles économiques mondiaux: avec l'Asie orientale, mais aussi avec les Etats-Unis d'Amérique et l'Union européenne, ainsi qu'avec le Monde arabe. Sans renier l'héritage du non-alignement, voire de la coopération Sud-Sud, l'Inde et les pays d'Afrique relancent leurs relations dans une optique généralement tournée vers la maximisation de leurs intérêts économiques. Les pays comme l'Algérie, traditionnellement tournés vers l'Europe, ont bien compris l'intérêt qu'ils avaient à diversifier leurs relations et à profiter du dynamisme des économies asiatiques, en général, et indiennes en particulier. En somme, dans cette Ere nouvelle de recomposition des alliances géopolitiques et du fait qu'elle est de plus en plus convoitée par plusieurs acteurs de puissance, l'Afrique a une opportunité d'émerger en tant que région de production, ce qui est susceptible d'intensifier la compétition entre les acteurs mondiaux. Le continent africain abrite de nombreux gisements de terres rares, en particulier, dans les pays de l'Est et du Sud comme l'Afrique du Sud, le Burundi, le Kenya, le Madagascar, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, la Tanzanie, et la Zambie mais, également, au Nord tel que la région Sahelo-saharienne et l'Algérie. L'espace qui combine l'aire d'intérêt spécial pour les uns et l' aire d'intérêt commun pour d'autres, lequel est à cheval entre la mer Méditerranée, l'Afrique du Nord et l'Afrique sub-saharienne que je dénommerai pour la circonstance «Mediterafrique», concept évoqué en 2011 par le World Economic Forum, est devenu courtisée, notamment, pour ses ressources minières nécessaires à la transition énergétique et à la révolution technologique. Par voie de conséquence, c'est devenu le terrain de jeux d'influence des différents acteurs de puissance. En toile de fond, se joue surtout une guerre d'influence entre les pays du club BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l'Afrique du Sud), les Etats-Unis d'Amérique et l'Union européenne. *12.10.2024 / Dr. Arslan Chikhaoui, Expert en Relations internationales membre du comité d'experts du WEF, membre du Global South Center of Excellence (établi en 2023 à New Delhi, membre de divers groupes de travail «Track-II» du système des Nations unies pour la consolidation de la paix