Une décennie après la chute de Mohamed Morsi et de la mouvance des Frères musulmans, suivie de l'accession au pouvoir d' Abdel Fattah al-Sissi en Egypte, l'inquiétude est à peine masquée dans les rues du Caire depuis que les groupes rebelles syriens conduits par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex al-Nosra, branche locale d'Al Qaïda, ont pris le pouvoir à Damas. Après avoir manifesté son soutien effectif au pouvoir de Bachar al-Assad, dont la chute est intervenue à la grande surprise de bon nombre de capitales, l'Egypte semble craindre un éventuel bouleversement de la situation interne, malgré un rapprochement spectaculaire avec la Turquie, au cours de l'année écoulée. Ankara soutient, en effet, le nouveau régime syrien et ne cache pas sa volonté de lui apporter aide et assistance dans tous les domaines, y compris les domaines politique et diplomatique. Contrairement aux autres pays du Conseil de coopération du Golfe qui ont rapidement réagi à la nouvelle donne et ont dépêché des délégations pour prendre attache avec le nouveau maître du pays, Ahmed al-Chareh, également chef de Hayat Tahrir al-Sham, l'Egypte est encore au stade de l'appréhension et prend le temps de peser le pour et le contre dans la mesure où le pays est mieux placé que quiconque pour appréhender l'histoire de la Confrérie des Frères musulmans, née en son sein. Le Caire semble ainsi faire preuve d'une grande prudence contrairement à ses alliés de la région arabe et prend le temps de sérier tous les paramètres des bouleversements éventuels qui ne manqueront pas de se produire, aussi bien au plan interne que régional. C'est pourquoi les autorités égyptiennes qui avaient réaffirmé leur soutien au président Bachar al-Assad, trois jours seulement avant la chute de Damas, ont temporisé durant trois semaines avant que le ministre des Affaires étrangères, Badr Abdel Atty, ne prenne attache avec son nouvel homologue syrien, pour lui demander de mener une politique inclusive envers les différentes communautés ethniques et religieuses qui composent la Syrie. Depuis, la relation est lancée avec l'envoi, voici deux jours à peine, d'un avion cargo égyptien chargé d'aide humanitaire au profit du peuple syrien. C'est, affirme le ministère égyptien des Affaires étrangères, une première livraison qui sera suivie par d'autres. De toute évidence, le président égyptien Al-Sissi a finalement opté pour une approche pragmatique de la situation, alors qu'il avait observé l'arrivée des nouveaux maîtres de la Syrie en considérant que « les citoyens de ce pays peuvent soit le détruire soit le reconstruire». Il espère en effet que les tenants islamistes du nouveau pouvoir seront absorbés par un collège inclusif à même de prendre en charge les attentes de toutes les communautés syriennes. Signe révélateur de l'ambivalence qui règne au bord du Nil, des arrestations de Syriens célébrant la chute de Bachar al-Assad ont eu lieu ainsi que de sévères restrictions de visas dans une Egypte qui accueille, bon an mal an, plus de 150 000 citoyens syriens. De plus, des images à la télévision ont été diffusées montrant Ahmad al-Charaa aux côtés de Mahmoud Fathi, une importante figure des Frères musulmans poursuivi pour terrorisme dans le pays. En somme, les autorités égyptiennes font contre mauvaise fortune bon coeur, sans pour autant cacher leur scepticisme face au discours très rassurant des nouveaux dirigeants de la Syrie.