Quinzième personnalité libanaise à avoir été tuée ou fait l'objet d'une tentative d'assassinat. Depuis la tentative d'assassinat de Marwane Hamadé en octobre 2004 au meurtre de Pierre Gemayel mardi, en passant par celui en février 2005 de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le Liban est confronté à de véritables règlements de comptes politiques qui vont crescendo, mettant le pays du Cèdre dangereusement à découvert, faisant en outre de plus en plus craindre le spectre du retour à la situation de 1975 qui a induit la guerre civile qui dura quinze ans, dont les plaies sont loin d'être cicatrisées. C'est sans doute pour n'avoir pu ou su dépasser les divergences politiques qui ont enfoncé le Liban dans la crise, laquelle semble aujourd'hui sans issue, que la situation est devenue de plus en plus incontrôlable. Les dirigeants libanais portent en fait une grave responsabilité dans cette situation pour n'avoir pas su ou voulu mettre en application l'ensemble des recommandations de l'accord de Taef qui mis fin, en 1990, à la guerre civile au Liban. Or, après chaque assassinat d'une personnalité politique libanaise, tous les regards se tournent vers Damas, comme l'ont encore fait mardi certains membres de la majorité parlementaire qui ont immédiatement pointé du doigt la Syrie dans le meurtre du ministre de l'Industrie. Il est patent que la Syrie est loin d'être innocente dans la tourmente dans laquelle vit le Liban -Damas porte en fait une grande responsabilité dans ce qui se passe au pays du Cèdre- mais d'aucuns semblent avoir décidé de faire de la Syrie le bouc émissaire dans tout ce qui arrive au Liban, à tout le moins le «mieux-disant» dans un pays qui n'a pas été capable, ces dernières années, de dépasser ses démons et de construire une véritable unité où seuls les intérêts du Liban et des Libanais soient pris en compte. De fait, quels gains, politiques ou autres, peut avoir la Syrie à intervenir, violemment, à ce moment même, si ce n'est de faire reparler d'elle alors que son intérêt est de se faire oublier, au moment où l'affaire Hariri franchissait une nouvelle étape avec la création d'un tribunal international, dont le projet de statut a été approuvé mardi par le Conseil de sécurité de l'ONU? D'ailleurs, alors que l'on pressentait des difficultés pour son adoption au Conseil de sécurité -plusieurs pays n'étant pas totalement satisfaits ou convaincus par certains articles du projet- voilà que le meurtre de Pierre Gemayel a énormément facilité l'approbation de la mise en place du tribunal international spécial pour le Liban (Tisl) faisant oublier les réserves exprimées ici et là ces derniers jours. D'ailleurs, c'est le gouvernement Siniora qui a tiré des bénéfices de ce nouveau meurtre politique au Liban, notamment en faisant passer son projet de tribunal international alors que celui-ci avait induit le 11 novembre la démission de six ministres, dont cinq chiites qui n'étaient pas d'accord avec les articles du statut du tribunal, bien au contraire, nombre d'opposants les trouvant anticonstitutionnels. Aussi, focaliser sur la Syrie comme le faisait, hier encore, le leader druze, Walid Joumblatt, n'aide pas le Liban à se rassembler, mais contribue à aggraver la fissure apparue entre les amis de M.Siniora, qui ne cache pas ses convictions pro-américaines, et l'opposition menée par le Hezbollah et Amal, les deux principaux partis chiites libanais. Dans une déclaration faite hier, Walid Joumblatt, l'un des ténors de la majorité qui se proclame «anti-syrienne» a ainsi affirmé: «Que le maître de Damas (le président Bachar Al-Assad) sache qu'il ne fera pas peur aux Libanais même s'il s'acharne dans les assassinats». «Tout assassinat est un clou supplémentaire dans le cercueil du régime syrien» selon lui, qui ajoute: «Les fauteurs de troubles continuent d'arriver à travers la frontière syro-libanaise.» Reprenant à son compte une affirmation américaine, il indiqua: «Il n'y aura ni sécurité, ni paix, ni démocratie (au Liban) tant que le régime syrien est en place», estimant, par ailleurs, que «les assassinats allaient se poursuivre». Alors que le Liban a le plus besoin de savoir raison garder, ce genre de déclarations n'est certes pas fait pour ramener la sérénité au pays du Cèdre. Bien au contraire! Si la colère exprimée hier par les Libanais à la suite de l'assassinat de Pierre Gemayel -dont les obsèques seront célébrées aujourd'hui- est légitime, les propos de M.Joumblatt, même si l'on comprend son courroux, n'aident pas néanmoins à apaiser les esprits et appellent plutôt au meurtre alors que le Liban qui ne peut plus se permettre une nouvelle guerre civile -dont tous les ingrédients semblent se mettre en place- a besoin de se rassembler, de retrouver son unité perdue. En revanche, la déclaration d'Amine Gemayel, ancien président du Liban et père de Pierre Gemayel, est de celles dont les Libanais ont aujourd'hui le plus besoin en ces jours de malheurs qui, s'adressant à ses compatriotes, a déclaré: «Je vous demande de rester calmes et de ne pas agir de façon instinctive, nous ne devons pas faire le jeu des comploteurs, nous ne demandons pas la vengeance.» Et ceux qui mettent de l'huile sur le feu sont ceux qui font le jeu de tous ceux qui veulent déstabiliser le Liban et ne travaillent certainement pas à lui faire retrouver l'estime de lui-même.