L'Expression: Vous venez d'éditer votre tout nouveau roman aux éditions Talsa, pouvez-vous nous en parler? Ouahiba Mansous Sadmi: Le livre Bladi, Bladi a paru aux éditions Talsa. Je ne vous cache pas que j'ai rencontré quelques difficultés qui ont retardé sa sortie, mais disons que tous ces imprévus nous apprennent à mieux gérer notre travail. Disons aussi qu'avec l'expérience, on parvient à mener notre projet à bon port avec plus d'aisance. Le titre de ce roman est très significative et symbolique, pouvez-vous nous en dire plus? Pour ce qui est du titre Bladi, Bladi, je me suis inspirée de la chanson du regretté Dahmane El Harachi, qui disait: «Ô voyageur, où que tu ailles, tu t'en lasseras et tu reviendras.» Quand on est jeune, notre esprit bouillonne de rêves, d'aspirations, d'ambitions qui nous tenaillent et nous tiennent en haleine. On a soif de découvertes, l'envie irrépressible de traverser le monde, de toucher à mille et une choses, de prendre son bâton de pèlerin et d'aller là où notre coeur nous porte. Mais, avec le temps, on réalise que l'endroit qui sied le mieux à notre âme n'est autre que la patrie. On ressent alors cette impression profonde que la terre qui nous a portés, qui nous a vus grandir, se déchire pour nous reconquérir. Votre roman parle donc de tout cet amour que l'on porte à sa terre natale? Mon roman Bladi, Bladi illustre toute l'ampleur de cet amour viscéral qui nous ramène inlassablement à nos racines. Il exprime cet attachement indéfectible, ce dévouement qui renaît avec force lorsque l'on vit l'exil. Qu'en est-il de la trame de ce roman, peut-on en avoir un aperçu même vague? Dans le livre Bladi, Bladi, j'ai raconté l'histoire de la harga de deux jeunes que j'ai fait venir du Sud, originaires de N'Goussa, un petit patelin près de Ouargla. Ali mène une vie difficile dans un environnement aride et sec, sous le joug d'un père sévère et autoritaire. Avec son ami d'enfance, ils essaient tour à tour différents métiers qu'ils trouvent sur leur chemin, mais aucun ne leur réussit, et chaque projet semble voué à l'échec d'avance. Désabusés, ils décident alors d'embarquer ensemble dans un périlleux voyage clandestin, en quête d'un avenir meilleur et plus prometteur, laissant derrière eux leurs familles plongées dans le désarroi. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire votre premier roman alors que votre intérêt pour la littérature remonte à votre tendre jeunesse? J'ai écrit mon premier poème à l'âge de treize ans et, lorsque je l'ai remis à mon professeur pour une éventuelle correction, il m'a souri. Avec des mots encourageants, il m'a priée de prendre soin de ma plume. Je me suis alors mise à écrire de petits poèmes, ici et là, sur la vie, la misère, l'amour, l'amitié. Je sentais en moi cette inspiration qui m'invitait, me susurrant de laisser ma plume surfer sur la douceur des feuilles d'écolière que j'étais. Au moindre chagrin, au plus petit événement qui illuminait ma journée, je me confiais à ma plume, et celle-ci jubilait, exultant en de jolies rimes toutes les émotions qui m'habitaient. Un jour, j'ai surpris mes tantes paternelles en train d'évoquer une femme de leur connaissance, qui avait fui avec l'homme qu'elle aimait. Cette histoire s'était déroulée pendant la guerre d'Algérie. Poussée par la curiosité, j'ai cherché à en savoir davantage sur cette femme qui allait devenir une grande héroïne de la révolution. J'ai ainsi découvert que, par amour pour son homme, elle s'était engagée aux côtés des combattants algériens, devenant à son tour la lionne du Djurdjura. Quel a été le déclic vous ayant poussé à prendre votre plume pour écrire ce premier roman? Ce n'est qu'en 2012 que l'idée m'est venue de coucher cette belle histoire sur le papier. Il me fallait d'abord obtenir la permission de cette révolutionnaire et, une fois son assentiment donné, j'ai enfin pu donner vie à mon récit. Mais les circonstances ne m'ont pas permis de réaliser ce voeu qui me tenait tant à coeur: écrire l'histoire extraordinaire de cette femme qui a tant donné à son pays. J'ai pu recueillir quelques informations sur sa vie, puis, un jour, j'ai décidé d'aller à sa rencontre. J'ai alors découvert une femme sensible, bienveillante et dotée d'un charisme remarquable. Elle a accepté que j'écrive son histoire, à condition de modifier les noms et certains lieux. Pouvez-vous nous parler de votre roman Hiba, un sacré bout de femme ? Mon second roman, Hiba, un sacré bout de femme, édité aux Editions Graine Fertile, est également basé sur une histoire vraie. Il relate la condition des jeunes filles des années 1980 et leur combat pour s'imposer malgré les barrières et les limites imposées par les hommes de leur famille. J'ai eu la chance de rencontrer Hiba un jour, et nous avons rapidement sympathisé en échangeant sur nos études, nos parcours et, surtout, nos aspirations. C'est à cette occasion que j'ai découvert son histoire, qui m'a profondément bouleversée. Au fil des années, nous avons gardé le contact, et lorsque l'envie d'écrire son histoire s'est imposée à moi, elle a tout simplement accepté. La femme est au centre de vos écrits. Est-ce que ce constat est inévitable quand l'écrivain est une femme? Je pense qu'il y a une part de vérité dans ce que vous dites. Pour ma part, il faut être femme pour ressentir la douleur d'une autre femme. Peut-être que je me trompe, peut-être que d'autres personnes me diront que c'est faux. Quand on m'a rapporté l'histoire de mon roman Amour, Larmes et Gloire, j'en ai eu les larmes aux yeux. Je ne pensais pas qu'il puisse exister une femme aussi courageuse, aussi déterminée que mon héroïne. Quitter ses parents à cet âge-là pour aller vivre avec un homme qu'elle venait tout juste de rencontrer, affronter un maquis avec tous les dangers qui l'entouraient... La dose de témérité devait être à son comble. Pour Un sacré bout de femme, il était essentiel d'évoquer cette frange de jeunes filles qui devaient imposer leur volonté pour ouvrir les portes de l'université. J'insiste sur ce point, car ce fut mon cas aussi: l'un de mes frères m'a tout simplement signifié que, même si j'obtenais le sésame, je ne devais pas nourrir le moindre espoir d'arpenter à ma guise les chemins du savoir. Le comble dans tout cela, c'est que même les parents approuvaient le comportement irréfléchi de leurs fils. À cette époque, on imposait le mariage dès l'âge de dix-huit ans. Alors, la seule porte de secours qui leur restait était l'enseignement. Ce dernier offrait de nombreux avantages et, surtout, il permettait d'éviter que la jeune fille ne devienne indépendante une fois loin d'eux. Qu'est-ce qu'écrire signifie pour vous? Ecrire, pour moi, est un moyen de partager mes idées, de créer des liens forts avec d'autres personnes en abordant des sujets qui leur sont chers, comme l'amour, l'entente, la liberté, les désaccords ou simplement la résilience. Ecrire peut aussi être un acte de revendication, une manière de briser le silence, de donner une voix à celles qui ont été historiquement réduites au silence ou invisibles. C'est souvent un moyen de résister à l'oppression, de raconter des histoires encore inouïes ou de redéfinir les rôles traditionnels et les attentes sociétales envers les femmes. Ma vie a connu bien des secousses; certaines ont failli me faire dériver, mais grâce à ma plume, j'ai pu redresser ma barque et voguer vers des rives plus sages. Mes écrits ont été un chemin vers la sagesse, la paix intérieure et la réflexion. Chaque mot posé sur le papier devient alors une petite victoire sur soi-même, sur le monde et sur les obstacles qu'une femme peut rencontrer au fil de son existence. Si aujourd'hui nous avons pu écrire, apprendre et avancer sereinement, c'est, grâce à ce courage et cette abnégation qui se sont ancrés en nous, presque de force, pour happer notre âme et notre coeur. Nous n'avions rien, et nos moyens étaient dérisoires, limités. J'achetais un cahier que j'utilisais comme brouillon pour écrire mes poèmes et mes petits textes. Afin de préserver l'espace, j'apprenais mes poésies par coeur pour pouvoir gommer mes mots et réutiliser mes feuilles. Il n'était pas question d'obtenir un autre cahier, car, comme je l'ai souligné, les ressources étaient réduites. Chaque fourniture scolaire devait être utilisée avec une grande précaution, sous peine de s'exposer au courroux des parents. Une anecdote me revient à l'esprit. J'aimais les livres, j'aimais la lecture par-dessus tout. Le collège Zaidat d'Azazga possédait une petite bibliothèque où l'on pouvait emprunter un livre pour 24 heures, moyennant quelques centimes. Ce n'était pas une mince affaire, car il fallait trouver cet argent pour assouvir ma soif de lecture. Lorsque j'en ai parlé à ma mère, sa réponse fut une douche froide, accompagnée d'insultes. Déterminée, je me suis alors rendue chez une vieille Française qui habitait le quartier et lui ai demandé si je pouvais faire ses commissions. Quelle joie immense m'a envahie lorsqu'elle accepta et me remit une petite somme d'argent?! Je me sentais la plus heureuse du monde. Y a-t-il une part d'autobiographie dans vos romans? Quand j'écris une histoire, je me glisse le plus souvent dans la peau de mon héros ou de mon héroïne. C'est ainsi que j'avance. Il m'arrive effectivement d'intégrer une part d'autobiographie dans mes romans, à travers des souvenirs ou des émotions vécues. À l'exemple du roman Hiba, j'ai transposé certains événements qui m'ont marquée pour les intégrer à mon récit. En réveillant ces instants de notre passé, on se sent touché, concerné par le rôle que l'on attribue à notre héros. Peut-on avoir une idée sur votre méthode d'écriture? Avez-vous toute l'histoire en tête ou bien se construit-elle au fur et à mesure? Quelle est la partie la plus difficile à imaginer? Le début, la fin? Avant toute chose, pour écrire un roman, il faut de l'imagination. Si notre esprit est dépourvu de cette qualité essentielle, nous ne pourrons pas aller bien loin dans cette aventure. En ce qui me concerne, je commence par choisir mon sujet et définir le thème principal. Ensuite vient l'étape la plus délicate: créer des personnages crédibles qui répondent aux exigences de mon récit. Une fois ces éléments en place, j'élabore un schéma narratif, autrement dit, je trace les grandes lignes de l'histoire. Le début est un point primordial: une fois le sujet trouvé et les personnages définis, il faut attribuer à chacun le rôle qui lui correspond. Pour moi, l'ouverture du roman prime sur tout le reste, car c'est elle qui capte et retient l'attention du lecteur. Si les premières pages ne sont pas accrocheuses, il y a fort à parier que le lecteur ne poursuivra pas sa lecture. J'essaie également d'alléger mon récit par des notes d'humour, évitant ainsi un contenu trop pesant ou trop sombre. J'aime aussi travailler le rythme des phrases afin d'apporter du dynamisme aux scènes et de rendre l'histoire plus vivante. Dans votre jeunesse vous aviez un penchant pour la poésie, pouvez-vous nous parler de cette expérience et comptez-vous éditer un recueil de poésie? La poésie m'a toujours fascinée par sa beauté, sa profondeur et la puissance de ses mots. Il y a, et il y aura toujours, une magie indéniable dans tous les écrits, mais encore davantage dans la poésie. Dès mon plus jeune âge, je m'efforçais de déchiffrer les vers de Charles Baudelaire, m'imprégnant de certains poèmes tirés de Les Fleurs du Mal. J'ai exploré les oeuvres de grands auteurs, comme Sully Prudhomme, dont La Pluie, et je me suis mise à les apprendre et à les réciter à tout bout de champ. Mon recueil, quant à lui, est fin prêt depuis plus d'une année, mais j'ai choisi d'éditer d'abord mes trois romans. Prochainement, si Dieu le veut, ce sera à son tour de voir le jour. Dans ce recueil, j'aborde des thèmes universels et intemporels: la femme, la vie, le bonheur, l'amitié. Chaque poème est une fenêtre ouverte sur une part intime de mon univers, une invitation à partager mes réflexions et mes sentiments les plus sincères.