Le tribunal de Dar El Beida (Alger) a condamné, ce jeudi, à 5 ans de prison ferme l'écrivain Boualem Sansal. Cette décision de justice fait suite à un réquisitoire du parquet qui avait réclamé 10 ans d'emprisonnement. Il convient de noter la requalification des accusations portées contre le prévenu. Sansal n'a pas été jugé par un tribunal criminel près la Cour d'Alger. Les accusations retenues relèvent du tribunal délictuel. «Lorsqu'il a terminé sa garde à vue, les infractions qu'on lui reprochait étaient de l'ordre de le faire passer dans l'équivalent de ce qu'est la Cour d'assises, c'est-à-dire devant le tribunal criminel», a fait remarqué, hier, le recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, à l'antenne d'une radio française(Sud Radio). Mais «l'affaire a été correctionnalisée», a-t-il précisé. L'homme de religion y a vu un signe d'assouplissement positif. Ce passage du « criminel » au « délictuel » n'a pas échappé aux autorités françaises dont les réactions étaient, disons-le, à la hauteur de l'enjeu. Il n'y eut, dans les sphères du pouvoir, aucun propos susceptible de rallumer la mèche de la polémique. Avec un respect total de la souveraineté de la justice algérienne, le président Macron n'a pas commenté cette décision. Il a, au contraire, sollicité « l'humanité » des autorités algériennes. «Je sais pouvoir compter sur, à la fois le bon sens et l'humanité des autorités algériennes», a-t-il tenu à affirmer lors d'une conférence de presse à l'issue du Sommet sur l'Ukraine. De son côté, le Quai d'Orsay a choisi les mots qu'il faut pour éviter toute autre interprétation. Son porte-parole, Christophe Lemoine, n'a pas condamné le prononcé de la peine. Il a, au nom du ministère des Affaires étrangères, déploré «la condamnation à une peine de prison ferme de notre compatriote Boualem Sansal». Il n'a formulé aucune exigence, non plus, mais réitéré l'appel de la France «à une issue rapide, humanitaire et digne à cette situation». Un étage plus haut, au Premier ministère, François Bayrou, affirme qu'«une voie digne et humanitaire est à portée. Je renouvelle notre appel aux autorités algériennes à la considérer et à y répondre favorablement». On peut aisément comprendre à travers cette sémantique et le ton respectueux de la souveraineté de l'Etat algérien et de sa Justice de la part des officiels français, que Paris est pleinement engagé dans la voie de l'apaisement. On y décèle même quelques éléments de langage qui amènent à croire à une concertation préalable des dirigeants français. Mais aussi à une volonté d'œuvrer à clore le dossier de la crise avec Alger. Cette séquence de désescalade est un signe probant de la volonté de Paris de hâter l'issue de ce dossier. Elle est en tout cas jugée sérieuse et crédible par les observateurs sagaces des deux côtés de la Méditerranée. Elle l'est d'autant plus encore, lorsqu'on relève que devant l'empressement du Président et du Premier ministre français à ne pas s'ingérer dans les affaires d'un pays souverain, le silence inhabituel du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, sonne comme un désaveu cinglant à sa démarche de «riposte graduée». De toutes les voix officielles françaises qui se sont exprimées sur le cas Sansal, seule celle de Retailleau s'est murée dans le mutisme. C'est clair qu'il a perdu son pari. Il plie sous la pression de ses supérieurs. Toute sa politique qui consistait à faire expulser des Algériens sans tenir compte de la procédure et d'annuler l'accord de 68 est tombée à l'eau. Le volet algérien du Comité interministériel sur l'immigration est un échec patent. Avant la fin du délai des six semaines, Retailleau met un genou à terre. On ne manquera pas de relever aussi le ton conciliant, si non moins agressif que d'habitude de certaines chaînes de télévision privées, habituées à jouer au va-t-en guerre. Chacun de son côté a tenu à mettre son bé mol. Cela pour les réactions françaises. Qu'en est-il des intentions de l'Algérie ? Le Recteur de la Mosquée de Paris en apporte quelques éléments dans son intervention sur Sud Radio. «Si on fait de la politique fiction, je pense que le président de la République (algérienne) va décider de sa grâce», a déclaré Chems-Eddine Hafiz. L'homme de religion, qui affirme bien connaître le président Tebboune, dit espérer «de tout mon cœur qu'il soit gracié et (…) il revienne au moins retrouver son épouse qui est elle-même souffrante». Il y a certainement des messages dans cette déclaration. Le Recteur de la Mosquée de Paris mise, lui aussi, sur l'humanitaire pour sortir de cette crise par le haut. «Je sais ce qu'est la prison. Je sais ce que ça peut être pour un homme, quelle que soit la prison. En même temps, il est âgé, il est malade. Son épouse est malade», a-t-il souligné. Et d'annoncer tout de go : «À titre humanitaire», une grâce «tombe sous le sens». Seulement, il y a dans ce deal humanitaire un aspect juridique incontournable. Boualem Sansal ne doit pas faire appel du jugement. Lorsque la décision de justice est définitivement notifiée, il sera possible, dés lors, au président de la République d'user de son pouvoir de droit de grâce, à titre humanitaire, pour qu'il puisse sortir de prison. Cette perspective permettrait aussi bien, à la France qu'à l'Algérie, de dépasser la plus grave crise depuis l'indépendance.