Le décès de l'écrivain-poète Youcef Merahi a plongé dans le deuil tout le monde culturel algérien. Ses amis, certains de très longue date, d'autres, nouveaux, sont devenus des orphelins depuis que Youcef Merahi n'est plus de ce monde. Aucun lieu culturel ou autre, que Youcef Merahi fréquentait, ne sera plus comme avant. Il y aura toujours son sourire et son visage lumineux qui hanteront ces endroits, à commencer par la librairie Cheïkh Multi-livres de Tizi Ouzou dont il était l'un des visiteurs les plus réguliers et les plus fervents. Il ne pouvait avoir un point de chute autre qu'une librairie. Et à Tizi Ouzou, ça ne pouvait être que la librairie Cheïkh, la plus ancienne, la plus professionnelle et la plus fréquentée par les lecteurs et les amoureux de la littérature et de la culture de manière générale. Le destin a voulu que notre dernière rencontre avec l'auteur de La pétaudière ait lieu dans cette librairie. C'était le jeudi 1er février 2024 à l'occasion de la tenue de la séance de vente-dédicace de l'écrivain Saïd Boucetta qui venait d'éditer son premier roman intitulé Les sept fantômes de Hassina aux éditions Haya. Avec Saïd Boucetta et notre collègue Kamel Boudjadi, nous nous rencontrons à Draâ Ben Khedda et prenons la route vers la ville de Tizi Ouzou. Le trajet de onze kilomètres fut très long à cause des embouteillages. Mais, la rencontre avec Saïd Boucetta, également directeur de la rédaction de L'Expression était très agréable. Elle a donné lieu à d'enrichissants et passionnants échanges nous ayant extirpés à l'ennui qu'engendrent, inéluctablemen,t les encombrements sur les routes. Une fois à la librairie Cheïkh, nous faisons rapidement les présentations, notamment avec les animateurs des lieux, le propriétaire Omar Cheïkh et… Youcef Merahi qui était déjà là. Sa silhouette apparaissait tout au fond de la librairie, à quelques dizaines de mètres de la porte d'entrée où sont affichées des dizaines de photos d'écrivains ayant déjà animé des ventes-dédicaces ici. Sans plus tarder, Youcef Merahi nous dédicace, comme promis, son tout dernier livre publié aux éditions El Amel Tizi Ouzou, bris de mémoire. Après quoi, le regretté devise bien sûr avec l'écrivain du jour Saïd Boucetta, comme s'il le connaissait depuis longtemps. Il reste encore quelques heures pour qu'arrive le rendez-vous de départ de la vente-dédicace. Une occasion pour prolonger la discussion avec Youcef Merahi qui a une faculté phénoménale de trouver des sujets passionnants qui ont tous trait aux livres et à la littérature même quand il s'agit d'échanger pour la première fois avec son interlocuteur. C'était le cas en ce jour entre Youcef Merahi et Saïd Boucetta. Ce dernier prenait le temps d'écouter Youcef Merahi avant de lui répondre pour enrichir le débat. Puis Omar Cheïkh nous invite tous les quatre à déjeuner dans son restaurant Afzim, lui, étant pris et devant faire un long déplacement avant la fin de la matinée. Attablés tous les quatre dans le restaurant, Youcef Merahi n'a pas changé de sujet et a continué à parler littérature, tout en écoutant, attentivement, l'un de nous quand nous prenions la parole. Youcef Merahi était très spontané dans ses discussions. Quand il n'était pas d'accord sur un point, il n'hésitait pas à interrompre son interlocuteur pour le contredire en avançant ses propres arguments. Par la suite, il tendait de nouveau la parole à son vis-à-vis afin d'écouter sa réplique. C'est son côté émotif de poète qui prenait le dessus dans ce genre de situations. Ce jour-là, on a abordé à un certain moment, les meilleurs écrivains algériens d'aujourd'hui. Comme il s'agit d'un sujet crucial et sensible qui ne peut pas vraiment faire l'unanimité, Youcef Merahi parvenait, grâce à sa maîtrise énorme du sujet et à sa sagesse, à accorder nos violons. C'était un immense et réel plaisir de l'écouter parler littératuren même au moment de déjeuner. Nous regagnâmes la librairie Cheïkh Multi-Livres où les premiers lecteurs étaient déjà arrivés. Saïd Boucetta occupa la place qui lui était réservée en tant qu'invité. À côté de lui, Youcef Merahi prit siège à sa droite. Tout au long de la séance, Saïd Boucetta a présenté son roman et répondu aux questions des présents avant de bifurquer sur plusieurs autres sujets, à la demande des lecteurs. Youcef Merahi n'hésitait pas à mettre son grain de sel de manière, égalemen, spontanée. Ce qui ne manquait pas d'agrémenter la rencontre car à chacune de ses interventions, l'assistance tendait l'oreille pour s'abreuver de ses connaissances et des détails qu'il ne manquait pas de donner pour enrichir les échanges. Mais Youcef Merahi n'abusait pas et n'exagérait pas car il savait que c'était à l'écrivain du jour de prendre la parole le plus longuement. Donc, il disait juste ce qu'il fallait et comme il le fallait. Aujourd'hui, on imagine mal une telle rencontre et des tas d'autres évènements littéraires en l'absence de Youcef Merahi que nous saluons chaleureusement avant de quitter les lieux en compagnie de Saïd Boucetta et de Kamel Boudjadi sans que l'idée que c'était notre dernière rencontre n'effleura même pas notre esprit. Depuis le décès de Youcef Merahi, nous ne nous sommes pas rendus à la librairie Cheïkh Multi-Livres. Comment s'y rendre en sachant qu'on ne l'y trouvera pas. Qu'on ne l'y croisera plus ?