Le ministre palestinien de la Culture et cadre du mouvement Hamas, M.Atteellah Abou Al Sebah, que nous avons rencontré à l'hôtel Hilton à Alger, estime que la mise en place du gouvernement d'Union nationale est tributaire des garanties que la communauté internationale et le président palestinien comptent assurer. Le Hamas est intraitable sur les dossiers liés à la libération des prisonniers, la levée du blocus économique ainsi que la préservation des portefeuilles de souveraineté nationale. Par ailleurs, notre interlocuteur estime que la reconnaissance de l'Etat d'Israël constitue un crime à l'encontre des générations futures. Atteellah se montre confiant et affirme que les pourparlers entre Heniya et Mahmoud Abbas seront relancés dans les jours qui viennent. L'Expression: Le président de l'Autorité palestinienne M.Mahmoud Abbas affirme que le dialogue avec Hamas pour la formation d'un gouvernement d'union nationale est «dans l'impasse». Peut-on connaître les raisons de ce nouveau gel des pourparlers entre les deux parties qui semblaient pourtant sur le point de sceller un accord sur la composition du futur cabinet? M.Atteellah Abou Al Sebah: La formation d'un gouvernement d'union nationale est une revendication du peuple palestinien que Hamas a adoptée depuis sa grande victoire aux législatives. Nous avions alors tenu des rencontres marathoniennes avec nos partenaires pour les convaincre à s'associer à ce projet, en vain, pour des raisons de vision politique. Je persiste que Hamas est très sérieux dans sa démarche visant à mettre en place un cabinet d'union nationale. Mais nous lions cela à des garanties que nous jugeons irréversibles, à savoir la levée de l'embargo infligé au peuple palestinien, la restructuration des institutions de l'Organisation de Libération de la Palestine, l'OLP, la libération des prisonniers qui croupissent dans les prisons israéliennes, enfin l' aboutissement à un consensus permettant d'assurer un équilibre dans le partage des portefeuilles politiques. M.Ismail Heniya a été honnête lorsqu'il a évoqué la possibilité de quitter le pouvoir en échange d'une levée du blocus économique occidental imposé au gouvernement palestinien. Nous sommes disposés à accorder 15 ministères sur les 24 que compte l'Exécutif, aux différentes factions. Mais il se trouve que nous sommes majoritaires dans le Conseil législatif, il est donc de notre droit de préserver les ministères de l'Intérieur, des Finances et de l'Information. Si les autres ne partagent pas cette position, cela voudra dire qu'il existe un désaccord de fond. Concernant le poste de chef du gouvernement, est-ce qu'il y a un consensus final sur la personnalité de M.Mohamed Chbeir, qui assiste aux pourparlers? Pour Hamas, cette question est résolue. M.Mahmoud Abbas s'est même réuni avec Chbeir, ce qui est déjà un geste politique fort, qu'on pourrait interpréter comme un accord de principe pour la candidature de ce dernier à la chefferie du gouvernement. Avez-vous eu une réponse définitive de la part du président de l'Autorité palestinienne? Non, mais je pense que Abbas est très convaincu que Chbeir est la personnalité la mieux apte à diriger le cabinet d'union, malgré les objections des officiels américains et israéliens qui reprochent à notre candidat la direction de l'université palestinienne, qu'on qualifie comme étant un fief pour les terroristes. Le quartette international (Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU) exige que le gouvernement Hamas reconnaisse Israël et les accords israélo-palestiniens paraphés sous le règne de feu Yasser Arafat. Hamas est-il prêt à faire ce pas? Cette question de reconnaissance d'Israël est sans précédent. Nous n'avons jamais entendu la communauté internationale exiger cela aux précédents gouvernements, pourquoi le fera-t-elle aujourd'hui? Pourquoi doit-on reconnaître un pays qui piétine les droits élémentaires du peuple palestinien? Israël ne veut pas de paix dans la région, au contraire, il ne cesse, avec la complicité des Américains, d'alimenter la violence. Israël doit se retirer des territoires occupés en 1967, il est appelé à accepter la création d'un Etat palestinien souverain. Le Hamas ne peut pas assumer la grande responsabilité de décider pour les générations futures. Les Palestiniens combattent pour une cause juste. Il serait donc injuste de reconnaître cet Etat, et de tirer un trait sur tous les droits de notre peuple. Quelles sont les garanties que Mahmoud Abbas ainsi que la communauté internationale vous ont accordées? De la part des Américains et des Israéliens, nous n'avons aucune garantie. Nous préférons orienter nos efforts vers les pays arabes qui sont entrés en contact avec nous, tels que l'Egypte et le Qatar. La tournée de Heniya dans la région s'inscrit justement dans ce contexte. Il est important pour nous d'expliquer nos positions, clairement et sans médiation, à nos frères afin de lever toutes les équivoques. Les Palestiniens ne demandent pas la lune. Nous avons 10.000 prisonniers, dont 400 femmes et enfants, qui vivent dans des conditions inhumaines dans les prisons israéliennes, depuis plus de 20 ans, pour certains d'entre eux. Peut-on savoir quand le dialogue inter-palestinien va reprendre? Nous sommes confiants, le dialogue va reprendre dans les meilleurs délais, le périple arabe de Heniya s'inscrit dans ce sens. Le boycott dont fait l'objet l'Autorité palestinienne de la part de l'Occident complique les choses. La situation sociale des Palestiniens en général, de la population de Ghaza en particulier, est très préoccupante alors que des milliers de fonctionnaires ne sont pas payés au risque d'une explosion sur le front interne? Sur ce plan, j'estime que les médias ont tendance à exagérer et à dramatiser les choses. En Palestine, il y a une machine de violence qui a été malheureusement «fabriquée» et alimentée par le pouvoir avant les élections législatives qui ont vu la victoire du Hamas. Plus précisément, ce sont des groupuscules qu'on assimile à des «troupes de la mort» qui sont chargés d'imposer un climat d'anarchie. Ces actes de violence sur lesquels les médias zooment, sont prémédités par les partis surpris par la victoire de Hamas. Depuis les premiers jours de l'embargo, ils n'ont cessé de manipuler les Palestiniens, en jetant l'entière responsabilité sur le dos du gouvernement pour l'affaiblir. L'on a transgressé la Constitution en réduisant les prérogatives des ministères de souveraineté, je cite, l'Intérieur l'Information et les Finances. Tout cela dans l'objectif d'instaurer un climat d'insécurité et d'instabilité. Mais je pense que le peuple palestinien a su faire la part des choses. Dans la bande de Ghaza, la grève a échoué parce que le gouvernement est resté solidaire sur le terrain à côté du peuple, ce qui a donné plus d'assurance aux Palestiniens. En Cisjordanie, l'arrestation d'un ministre, membre du Conseil législatif, les protagonistes de la violence ont sévi afin d'obliger nos citoyens à débrayer. Je saisis cette occasion pour préciser que les arrestations dont ont fait l'objet les ministres s'inscrivent directement dans le complot visant Hamas. Mais vous reconnaissez que la situation sociale des Palestiniens est de plus en plus critique? L'embargo soutenu par les Américains est un acte criminel qui vise à discréditer un mouvement élu par le peuple. Certes, l'embargo a pris une ampleur très délicate depuis l'avènement de Hamas, mais, à mon avis, il est important de préciser que mon peuple vit sous l'embargo depuis 1948, l'année où il a été pourchassé de ses terres et qui a vu la naissance d'Israël. Vous avez évoqué la question des salaires. Je tiens à apporter quelques précisions. Il y a une catégorie non affectée par l'embargo, ce sont les employés dont le salaire est assuré par l'Unrna, elle englobe les médecins, les enseignants, les administrateurs. La deuxième catégorie concerne les activités libérales «les commerçants les avocats les ingénieurs» dont les revenus ne dépendent pas du budget gouvernemental. Par ailleurs, il faut reconnaître que nos citoyens dans la ligne verte (terre conquise par Israël en 1948) ressentent, de manière de plus en plus pressante, les effets de l'embargo depuis la première Intifadha en 1987. Nous avons, par ailleurs, réussi à verser une partie des salaires des cadres de l'Autorité palestinienne qui touchent plus 1000 dollars. Et 60% des salaires des employés qui touchent moins de 400 dollars. C'est la situation exacte qui règne en Palestine. S'il y avait une partie qu'il faut incriminer ce serait bien la coalition israélo-américaine et non pas Hamas. Les Palestiniens malheureusement sont en train de payer la taxe de la démocratie. Comment jugez-vous la position des pays arabes? Nous ne pouvons que saluer la dernière position prise dans la Ligue arabe qui a brisé l'embargo injuste imposé à notre peuple... Ne pensez-vous pas que les Arabes ont agi très en retard? Vaut mieux tard que jamais. Ça nous réjouit aussi que Ismail Heniya soit accueilli comme un homme d'Etat dans les capitales arabes. C'est un appui politique fort pour nous. Maintenant, il est vrai que certaines positions officielles des dirigeants arabes peuvent paraître en décalage avec les aspirations des peuples. Cela est lié aux politiques internes et aux relations bilatérales qu'entretiennent ces pays avec leurs partenaires dans le monde. Cela nous ne concerne pas. Concernant l'Europe? La position européenne est variée, mais elle est nettement meilleure que celle des USA. Je ne peux pas ignorer les aides européennes acheminées à nos citoyens. Mais ce continent reste faible face à l'influence des Américains qui pratiquent le deux poids, deux mesures et nous privent de vivre en paix. Lors de la crise de la dernière semaine la résistance palestinienne, après les affrontements souvent meurtriers entre éléments du Hamas et du Fatah, semble avoir délaissé le principal, la lutte contre l'occupant israélien, pour le secondaire, la question des prérogatives entre les deux Mouvements? Qu'en est-il en fait? Il n'y a pas et il n'y aura pas de guerre civile en Palestine. Je pense que, là aussi, les médias ont diabolisé la situation. Il y a des hommes dignes dans ce pays qui empêcheront l'effusion de sang entre les Palestiniens. Je ne suis pas en train de nier le fait. Il est vrai que des hommes armés appartenant à des différentes factions se sont accrochés, mais la situation a été vite contrôlée à la suite de l'intervention de la Commission des forces nationales et islamiques, qui a vu juste en affirmant que l'unité du peuple est dans la force des factions. Là aussi, le complot israélien n'est pas écarté. Mais les Palestiniens ont su surmonter cela en mettant fin à la présence des personnes armées dans les rues, excepté la police. Si Yasser Arafat était vivant la situation aurait été meilleure. Partagez-vous cette vision? Je pense que Mahmoud Abbas a le charisme qu'il faut pour bien contrôler la situation.