Ali Benhadj est venu apporter son soutien à un Boudjerra Soltani très mal à l'aise. L'atmosphère est très tendue au siège du Mouvement de la société pour la paix (MSP). Le bureau exécutif s'est réuni depuis la matinée pour arrondir les angles, tant les allusions du président Bouteflika étaient évidentes. Les jeunes loups qui sont entrés en dissidence contre le chef depuis qu'il a accepté le poste de ministre, sans les consulter, se frottent les mains. Mais tout ce beau monde, d'habitude très bavard, s'est tu. Les portables ne répondent plus. On décide de faire un tour pour voir de plus près. On rencontre des visages fermés. A peine s'ils osent vous saluer d'un hochement de tête pour s'engouffrer aussitôt dans la cage d'escalier et disparaître de votre vue. La mine déconfite, l'anxiété lisible sur chaque visage, le staff est convoqué d'urgence pour discuter et chercher une issue à l'impasse dans laquelle ils les a mis. Ali Benhadj est venu apporter son soutien au président Boudjerra Soltani parce qu'il semble être «victime d'une injustice». Mieux, le numéro deux de l'ex-FIS trouve qu'il y a un «mouvement de redressement qui se prépare au MSP». Il lâche cette petite phase après que Soltani l'eut reçu pour quelques instants en interrompant les conciliabules du bureau exécutif. La réunion a, toutefois, traîné en longueur jusqu'au soir. En se rendant à la salle des prières, le patron du parti est accosté par les journalistes qui font le gué depuis le matin. Il dit seulement que l'affaire a pris de l'ampleur, qu'elle est au-dessus de tous; entendre par là que depuis que Bouteflika s'en mêle la situation a dégénéré et qu'il faudra prier nuit et jour pour épargner Soltani des malheurs. Il sait que les jeunes loups attendent l'occasion pour prendre leur revanche. Depuis qu'il a lancé la menace de limiter la députation à deux mandats, beaucoup de gens veulent sa peau. Il vient de leur offrir l'occasion sur un plateau d'argent. Mais le thème de la corruption - devenu slogan du MSP et qui aurait dû trouver écho au sein du parti -s'est retourné contre Soltani parce qu'il est allé un peu loin en faisant des déclarations tonitruantes et parce que la presse en a fait une polémique et parce que Bouteflika le prend au vol et lance des clins d'oeil en jetant une poignée de phrases bourrées de sous-entendus dans une salle pleine à craquer au Palais des nations. Dès lors, tout devient possible. Personne ne souhaite être dans la peau de Soltani. On fait toutes sortes d'extrapolations alors qu'on devait seulement se souvenir de la lettre de Hadjar et la suite qui lui a été donnée. Certains le voient déjà en poste à l'étranger pendant que d'autres supposent que le président veut simplement le gommer du gouvernement. Au sein du parti, on n'est pas très solidaires avec le chef. La réunion d'hier a été fiévreuse. On croit savoir qu'on prépare un communiqué qui devrait être avalisé par les présents avant d'être remis à la presse. Le thème de la corruption est donc venu solder le compte d'un Soltani qu'on croyait plus immunisé. Il a été député, puis deux fois ministre, puis trois fois, puis président du parti. Tout le monde s'est acharné sur lui pour précipiter sa chute comme si la dénonciation de la corruption constituait un péché capital. Soltani a cru jusqu'ici à sa bonne étoile. Il est président du premier parti islamiste et le troisième sur la scène politique. Il s'est rendu, récemment, en Turquie en visite officielle où il a, selon certaines indiscrétions, eu des démêlés avec l'ambassadeur d'Algérie à Ankara. En revenant, il s'est retrouvé confronté à une situation inédite. Au lieu de reculer, il a sauté les yeux fermés dans l'inconnu.