La médiatisation des affaires est un acte de salubrité publique. Il y a deux manières d'aborder le phénomène de la corruption. La première consiste à faire comme Tartuffe, qui disait: «Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir», en jetant un voile pudique et opaque sur la mise en coupe réglée des deniers publics par des groupes mafieux agissant à l'intérieur des institutions publiques, et jouissant de complicités avérées. C'est le règne de l'impunité. Du non-droit. Des intouchables. La seconde manière, au contraire, consiste à confier tous ces dossiers de corruption à la justice, qui fait son travail en envoyant derrière les barreaux, corrompus et corrupteurs, qui sont dans le même sac. Le premier à avoir secoué le cocotier de ces coutumes du sérail a été le président du Haut Conseil d'Etat, Mohamed Boudiaf. Il l'a payé de sa vie, assassiné qu'il fut en direct à la télévision. Les années 90 ont été des années de relative accalmie sur le front de la lutte contre l'abus de biens sociaux et le détournement de deniers publics. Ce fut l'époque où des fortunes colossales ont été amassées. La spirale de la violence a fait en sorte que les forces de sécurité et les juges étaient occupés sur le front de la lutte antiterroriste, laissant la voie libre aux aigrefins de tout poil et de tout acabit. En résumé, ce n'est pas parce qu'on n'en parle pas que les affaires de corruption n'existent pas, et ce n'est pas parce qu'on en parle enfin que le pays est plus gangrené par la corruption qu 'avant. La corruption a toujours existé. La nouveauté, c'est que maintenant la presse en fait état. Et c'est tant mieux. La médiatisation est un acte de salubrité publique. L'assassinat, il y a quelques semaines, du juge de Annaba a jeté un froid dans le dos des magistrats, et encore plus dans celui de l'opinion publique, puisqu'on a relié ce meurtre à un règlement de comptes lié aux enquêtes sur les affaires de corruption, jusqu'à ce que les auteurs de ce crime crapuleux soient arrêtés. Bien entendu, si la presse arrive à porter à la connaissance de l'opinion toutes ces affaires, c'est qu'enfin le voile est levé et que des dossiers plus ou moins consistants sont déposés devant les tribunaux. Or, il faut le dire, ces dossiers sont assez souvent consistants, contrairement à la période de la chasse aux sorcières, pendant laquelle de nombreux cadres ont été envoyés en cellule sur des dossiers vides, sans que des charges sérieuses soient retenues contre eux. Cela veut dire que la période actuelle ne peut pas être assimilée à une simple campagne médiatique, destinée à jeter de la poudre aux yeux. Du moins, nous l'espérons. Il faut attendre la suite pour mieux estimer à sa juste mesure l'effort qui est fait dans l'assainissement de la gestion des affaires de la cité. Si la volonté politique existe d'en finir avec la dilapidation des deniers publics, il reste maintenant à la justice de jouer son rôle, car c'est à elle qu'incombe la mission de faire place nette en démêlant l'écheveau et la trame de toutes ces affaires. Or, tout le monde le sait, pour que cette action de la justice porte ses fruits, les magistrats ont besoin d'être sécurisés. Sur le plan matériel en réglant leurs problèmes socioprofessionnels, pour les mettre à l'abri du besoin et donc de la corruption, mais aussi sur le plan moral et politique, il est bon que soit réaffirmé, une fois de plus, le principe d'indépendance de la justice. L' un ne va pas sans l'autre. La lutte contre la corruption est toute une chaîne: elle commence par la volonté politique, elle continue avec l'indépendance de la justice, mais elle devient plus efficace lorsque existe la liberté d'expression qui permet d'alerter l'opinion publique. Aucune lutte ne peut être efficace sans une vigilance accrue de l'opinion et des médias.