Saisir les causes et les facteurs de la hausse vertigineuse du prix du mouton à l'approche de l'Aïd nécessite un retour aux régions pourvoyeuses de cheptels ovins. «En principe, et en période de disette, les prix de la viande ovine ou bovine chutent. Mais les éleveurs tentent, en haussant les prix, de rattraper leur déficit occasionné par toute cette sécheresse et la déperdition galopante des cheptels», confie un observateur averti rencontré à Naâma, une des wilayas du Sud-ouest algérien réputée par sa vocation pastorale. La sécheresse et la diminution du cheptel ne sont pas les seuls facteurs de cette hausse, les tarifs des aliments de bétails et la spéculation outrancière, ainsi que la sécheresse et la tragique «disparition» des pâturages participent notamment dans cette augmentation conséquente. «Pour l'aliment du bétail, c'est une véritable mafia qui s'est installée», lance un autre natif de la même wilaya. Les éleveurs des régions de Djelfa et de Aïn Oussera, abordés, eux, au niveau des marchés de la périphérie de la capitale abondent dans le même sens. «C'est trop cher et on n'arrive plus», affirment-ils en pointant un doigt accusateur vers les «trabendiste» qui contrôlent le marché du fourrage et autres aliments de bétails. Les spéculations imposées par les maquignons en provenance de l'Est du pays représentent une autre pression sur le marché ovin. En effet, à l'approche de l'Aïd, des maquignons en provenance des régions Nord, mais surtout de l'Est: Tébessa, Batna, en comptant notamment les patrons du puissant cartel de Barika, arrivent ainsi sur le marché hebdomadaire de Nâama qui se tient le mercredi C'est lors des tractations vite expédiées dans ce marché et les autres de la région même que les prix se discutent et sont fixés à la veille de la grande ruée vers le mouton à travers tout le territoire algérien. Et puis il existe les spécialistes de l'engraissement des ovins qui démarrent leur «entreprise» bien avant le mois du Ramadan. Dans les régions ouest de la wilaya, et plus précisément dans la commune d'El-Kasdir proche des frontières marocaines, le trafic de moutons favorise une impressionnante hémorragie. «Nous avons une race de moutons assez particulière chez nous, révèle notre contact autour d'une tasse de thé dans la ville de Naâma, c'est la race ‘‘soldat'', on l'appelle ainsi car ce sont des moutons toujours mobilisés pour passer la frontière». Des réseaux maffieux, bien structurés, organisent les transhumances clandestines de cheptels vers le Maroc. Sur l'axe frontalier qui s'étend sur plusieurs centaine de kilomètres, des «villages» entiers voient le jour, le temps d'une nuit de halte : baraques, mangeoires, étables improvisées sont vite installées pour être démantelées le lendemain très tôt le matin. «C'est tellement impressionnant que les voyageurs de passage se figurent qu'il s'agit d'un véritable village», nous déclare un correspondant de presse de Naâma. Ces opérations commandos sont effectuées par des individus en djellabas camouflant des tenues de policiers avec des complicités à divers niveaux. «Il faut payer entre 300 et 1.000 DA par tête le droit de passage clandestin, imaginez combien ces corrompus se font en une nuit lors du passage de 1000 têtes par exemple», confie notre interlocuteur. En général, poursuit la même source, les hommes qui, agissent sur le terrain, ne sont que des deuxièmes mains, des sous-traitants à la solde des grands patrons qui demeurent «inexpugnables» et se voient systématiquement sauvés des rafles occasionnelles opérées par les services de sécurité. De l'autre côté de la frontière, les moutons sont troqués contre des marchandises particulièrement prisées chez nos trafiquants : pétards, haschish, Whisky et autres articles du genre. Plus au Sud, et vers El-Bayadh, les mouwaline crient leur désespoir: «La steppe se vide et le mouton se meurt!» Cette wilaya, c'est 6 millions d'hectares, dont 86% sont des pâturages, et plus de 70% de la population sont des éleveurs. Sur un total de 1.800.000 têtes, les 2/3 du cheptel ont «émigré» vers le Nord pour les éleveurs les plus chanceux. Les programmes d'aide à l'activité pastorale ont vite montré leur limite. Des centaines d'éleveurs ont notamment abandonné leur prime occupation. Un véritable drame humain se joue dans ces régions où le chômage et l'érosion des perspectives laminent toute issue pour de large frange de la population locale. La moitié de la richesse en bétail nationale se trouve dans cette région et les recommandations des différents séminaires sur la désertification n'ont rien donné alors que 1 million d'hectares de nappes alfatières a été «bouffé» par l'avancée du désert en 25 ans. La Daâghma, la race ovine rouge des steppes du Sud-ouest est en voie d'extinction, l'exploitation des zones interdites aux éleveurs, dhayat, qui empêche la régénération du tissu végetal, l'abandon de projets ambitieux tels que celui qui devait être le plus grand abattoir d'Afrique à Tiaret, des taux d'érosion passés à la puissance 7, les divers procédés de spéculation et de contrebande, etc., autant de facteurs qui participent à la ruine quasi totale du secteur pastoral.