C'est hier, vers neuf heures, que la mort clinique d'Ahmed Merah a été constatée par le médecin légiste, après deux jours de coma plus ou moins profond. Selon les enfants du défunt, Merah avait commencé samedi à vomir et à montrer des signes d'une rapide détérioration de son état de santé. Dès qu'il fut conduit à l'hôpital, il sombra dans un état comateux. Son état alternait encore le coma et le retour à l'état de «conscience étourdie». Il réagissait et fermait les yeux lorsqu'on le lui demandait, dit l'un de ses fils. Cet état, plus ou moins stationnaire, se détériora rapidement et le médecin dut constater, hier, en début de journée la mort de Merah. Les prélèvements sanguins avaient, dès dimanche, établi «la présence de substance suspecte dans le sang du malade». Sa famille avait pensé, au début, à une hyperglycémie, car Ahmed Merah, atteint de diabète, prenait depuis longtemps des médicaments. Toutefois, les analyses faites à Bab El-Oued, avant sa mort, avaient évacué cette probabilité. Selon un de ses médecins, il s'agissait de points adipeux, sortes de corpuscules blancs qui envahissaient son sang très vite. Dès que la mort fut cliniquement constatée, le médecin porta sur son attestation de décès la mention suivante: «Mort suspecte!» Les choses étant restées là, la famille du défunt dut demander officiellement, au procureur de la République de procéder à une autopsie. Cette opération devait être faite hier dans la soirée. «Mort suspecte», il n'en fallait pas plus pour alimenter les débats et attiser les polémiques. Hier, la nouvelle de la «mort suspecte» d'Ahmed Merah avait fait le tour des rédactions et les spéculations faites à ce sujet tournaient autour d'«un empoisonnement par absorption d'une dose d'aspirine». En fait, Ahmed Merah était un personnage très important pour que sa mort puisse être constatée «normalement», car nous sommes bien en face d'un fort en gueule, un des derniers rescapés de l'épopée Bouiali, un homme séditieux et galant à la fois, qui a été un élément actif du premier groupe armé en Algérie, le MIA, de 1979-80 à 1985, avant de terminer conseiller aux affaires antiterroristes et consultant technique, récemment, dans la commission Issad. Entre-temps, il avait écrit quatre livres, de fortes polémiques, et qui ont été très controversés dans les milieux islamistes radicaux. Dans les deux premiers, il relate l'«affaire Bouiali», depuis la constitution du premier noyau terroriste en Algérie, le MIA, jusqu'à sa comparution devant la Cour de sûreté de l'Etat, en 1985, la mort de Mustapha Bouiali, puis enfin la libération du «groupe des 15» en 1990, par un décret présidentiel signé par le Président Chadli Bendjedid. Son troisième livre Une troïka de généraux-recyclés à la présidence, le «terroriste» (selon la terminologie du pouvoir), le «moudjahid» (selon l'acception islamiste), le «révolté» (selon Merah lui-même), a quitté les sentiers sinueux de la subversion islamiste pour contrecarrer... la subversion islamiste. Selon le livre, le groupe Bouiali visait la liquidation des véreux, des caciques du pouvoir, des despotes, alors que la déferlante islamiste de 1990-91 était un monstre qui menaçait, dans un bâillement, d'avaler le monde. Son quatrième livre est un réquisitoire contre... la justice. Dans Le Terrorisme judiciaire d'une maffia au pouvoir, il brosse le tableau d'un homme (lui, ndlr), ancien caïd du milieu, qui quitte «les sinuosités obscures des esprits illuminés» pour se frayer un chemin dans la vie, le monde, le commerce. Le passé le rattrape, la justice le broie. Il écope deux ans de prison, et s'en sort aigri, désabusé. Et le restera. La dernière fois qu'on s'était retrouvé ensemble, c'était, il y a moins d'un mois, aux côtés d'Antoine Sfeir, lors d'un séminaire organisé à l'hôtel Hilton par la Fédération internationale des associations victimes du terrorisme. Comme à l'accoutumée, Merah imposait une présence résolument réconciliatrice devant un parterre d'éradicateurs, et parlait, déjà, de son cinquième livre. L'autopsie révèlera certainement une mort naturelle. Mais s'il fallait créer une mort à la démesure de l'homme, on l'aurait fait.