La classe politique française nous a habitués à ses sorties à l'occasion des rendez-vous électoraux. La signature du Traité d'amitié entre la France et l'Algérie ne sera pas pour demain. Le ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas, a affirmé, en marge du colloque international sur les «Conséquences des essais nucléaires dans le monde», clôturé, hier, à l'hôtel El Aurassi, que «la lettre envoyée par M.Jacques Chirac à M.Abdelaziz Bouteflika n'engage qu'un président en fin de mandat». Interprété par certains observateurs comme «un signal fort» de la part de la France pour l'ouverture d'une nouvelle page dans les relations bilatérales avec l'Algérie, le message transmis cette semaine au président algérien par le biais de Philippe Mazeaud, président du Conseil constitutionnel français, ne semble pas convaincre Alger. Sans aller jusqu'à confirmer la thèse, le ministre algérien a laissé entendre que cette démarche obéit à des arrière-pensées électoralistes. Arguant le débat qui tourne autour de la guerre de Libération, ces derniers mois, dont les véritables protagonistes sont les candidats aux élections présidentielles françaises. «La classe politique française nous a habitués à ce genre de polémique à l'occasion des rendez-vous électoraux», a-t-il ajouté. Notons que la déclaration faite par M.Jack Lang, conseiller de la candidate Ségolène Royal, portant sur la nécessité pour la France de reconnaître ses crimes durant la période coloniale, a soulevé de vives polémiques à Paris. M.François Bayrou, candidat UDF, et Nicolas Sarkozy ont estimé «mal placée» la déclaration de Jack Lang. L'intervention du ministre des Moudjahidine est importante à plus d'un titre, sachant qu'elle intervient à la veille du Sommet France-Afrique, qui s'ouvre aujourd'hui à Cannes, en présence du président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Même si officiellement, aucune information n'a filtré sur une éventuelle rencontre au sommet entre les deux dirigeants, Bouteflika et Chirac, force est de constater que le dossier relatif au Traité d'amitié sera certainement discuté à Cannes. Dans un autre chapitre, interrogé sur les démarches que compte l'Etat algérien entamer pour arracher la reconnaissance de la France des crimes commis durant la période coloniale et l'indemnisation des victimes, notamment ceux des essais nucléaires dans le Sahara algérien, Abbas renvoie la balle paradoxalement à la société civile: «Le premier pas à faire est la constitution d'une association regroupant victimes, avocats, chercheurs et historiens, laquelle sera appelée à entamer une action judiciaire contre X.» Mais, selon Azzeddine Zalani, expert en droit international, l'indemnisation est conditionnée par la reconnaissance de l'Etat français de sa responsabilité. «La question de la réparation des dommages subis lors des essais nucléaires soulève plusieurs difficultés, notamment la mise en oeuvre des actions en responsabilité des dommages occasionnés et des modalités de mise en oeuvre de la réparation.» Cependant, la permanence des réserves liées à la souveraineté et à la sécurité des Etats «empêche sa mise en oeuvre sur le plan judiciaire et pratique». La France, et «sous prétexte» que les accords d'Evian autorisent les essais complémentaires après l'Indépendance, s'entête à rejeter sa responsabilité et ferme ses archives, plaçant ainsi les accords d'Evian au-dessus de la loi. Mais pour M.Zalani, «rien ne saurait exonérer l'Etat français de ses responsabilités». Une position soutenue par Mme Carah du Centre américain du contrôle d'armement, qui a estimé que la France est responsable, et pour cette raison, «elle est appelée à contribuer dans la décontamination de la région de Reggane». Par ailleurs, M.Bruno Barillot, expert du conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (Polynésie française), a soulevé un point important. En effet, il a insisté sur l'urgence de fermer les sites contaminés dans le Sud algérien. Ce qui est loin d'être le cas. M.Kadhim El Aboudi, professeur à l'université d'Oran, révèle que des groupes de scouts algériens et des élèves continuent de visiter ces sites dans le cadre des excursions. «Il faut absolument arrêter ces visites à haut risque.» Par ailleurs, ce dernier a révélé les résultats d'une étude effectuée sur 10 ans par des universitaires algériens. Sur un échantillon de 1450 personnes, ont été enregistrés 67 cas avérés de leucémie, 800 cas d'avortement. Quant au lien avec les fuites radioactives des essais nucléaires, El Aboudi préfère parler «d'explosion nucléaire» sachant que l'intensité des bombes utilisées dépasse cinq fois celle de Hiroshima. Parmi les recommandations préconisées à l'occasion de ce colloque, l'on retient principalement le devoir de l'Etat français de reconnaître ses crimes coloniaux, et aussi d'ouvrir ses archives nucléaires.